Edito de la Nouvelle Revue d’Histoire n°63 – novembre-décembre 2012
Tout
grand évènement religieux a des causes politiques et historiques. Cette
observation se vérifie particulièrement en Europe dans l’histoire du
christianisme, en raison des liens étroits et conflictuels établis entre
l’Église et l’État, le Sacerdoce et l’Empire, le Trône et l’Autel. Tel
est le sujet du dossier de la NRH de novembre 2012 (n° 63). Si vous
prenez le temps de le lire, vous découvrirez certainement une face des
choses qui vous paraîtra neuve. L’étude historique comme nous la
pratiquons n’a pas pour but de rabâcher les clichés entretenus par une
transmission paresseuse des savoirs scolaires. Elle à pour but de nous
donner des instruments pour comprendre les mystères du passé et ceux du
présent afin de construire notre avenir.
Il existe bien d’autres
religions (ou de sagesses religieuses) à travers le monde et d’origine
vénérable, mais aucune n’a eu un destin comparable au christianisme, en
ce sens où aucune n’a édifié sur la longue durée une telle institution
de pouvoir se posant à la fois en rivale ou en appui du Trône ou de
l’État. Analyser cette particularité excède naturellement les limites de
cet éditorial (1). Je me limiterai donc à rappeler deux particularités
historiques majeures.
À la suite d’une série d’imprévus historiques
majeurs, à la fin du IVe siècle de notre ère, un culte d’origine
orientale et en constants changements fut adopté comme religion d’État
obligatoire d’un Empire romain devenu largement cosmopolite. Pour faire
bref, je ne crois pas du tout à la vieille thèse selon laquelle la
nouvelle religion aurait provoqué la décadence de l’Empire. En revanche,
c’est évidemment parce que « Rome n’était plus dans Rome » depuis
longtemps, que les empereurs, à la suite de Constantin et de Théodose
(malgré l’opposition de Julien), décidèrent, pour des raisons hautement
politiques, d’adopter cette religion.
En trois gros siècles (l’espace
de temps qui nous sépare de Louis XIV), la petite secte juive des
origine était devenue une institution sacerdotale frottée de philosophie
grecque que saint Paul avait ouverte à tous les non-circoncis (Galates,
3-28), une religion qui se voulait désormais celle de tous les hommes.
Ce
projet d’universalité chrétienne coïncidait avec l’ambition universelle
de l’Empire. Il en était même le décalque, ce qui favorisa son adoption
après des périodes de conflits (sans parler des nombreuses hérésies).
Pour un empire à vocation universelle, une religion qui se voulait celle
de tous les hommes convenait mieux que la religion des dieux
autochtones de l’ancienne cité romaine. On pense rarement à cette
réalité capitale. Tout plaidait politiquement en faveur de cette
adoption, et les apologistes chrétiens n’ont pas manqué de le souligner.
À la différence de l’ancienne religion civique, la nouvelle était
individuelle et personnelle. Par la prière, chaque fidèle était en
relation implorante avec le nouveau Dieu. Celui-ci ne s’opposait pas au
pouvoir impérial : « Rendons à César ce qui est à César et à Dieu ce qui
est à Dieu ». Les difficultés surgiront ultérieurement sur la
délimitation du territoire accordé à César (le Trône) et à Dieu
(l’Autel).
Par la voix de saint Paul, l’Église naissante avait
justifié l’autorité des Césars : « Tout pouvoir vient de Dieu »
(Romains, 13). À la condition toutefois que les Césars lui reconnaissent
le monopole de la religion et de la parole sacrée. À cet égard,
l’Empire multiethnique de l’époque ne pouvait souhaiter mieux qu’une
religion prête à le servir en unifiant tous les peuples et toutes les
races dans l’adoration d’un même Dieu sans attache ethnique.
L’empereur
Constantin, imité en cela par ses successeurs en Orient (Byzance) était
bien décidé à intervenir dans les affaires d’une Église qu’il voulait
soumise, et à mettre de l’ordre dans les disputes théologiques grosses
de désordres. Son autorité s’imposa ainsi au Concile de Nicée (326) qui
établit les fondements de l’orthodoxie catholique en donnant une assise
au mystère de la trinité divine. Devenue obligatoire, ce qui impliquait
la conversion de tout titulaire d’autorité, l’Église naissante devint
une formidable machine de pouvoir, épousant les structures de cette non
moins formidable institution qu’était l’Empire.
Un siècle après
Constantin et Théodose, surgit un nouvel imprévu historique aux
conséquences colossales. Depuis longtemps, le gigantisme de l’Empire
avait conduit à le diviser en deux : empire d’Occident (capitale Rome en
attendant Ravenne) et empire d’Orient (capitale Constantinople). Une
primature était accordée à Constantinople en raison du déplacement
oriental du centre géométrique, ethnique et économique, de l’Empire.
Cela d’autant que la présence toujours accrue à l’Ouest de populations
germaniques, dites « barbares », créait une instabilité mal maîtrisée.
C’est
ainsi qu’en 476, le dernier empereur fantoche d’Occident (Augustule)
fut déposé par un chef hérule nommé Odoacre qui renvoya les insignes
impériaux à Constantinople. Cet évènement signait la fin discrète de
l’empire d’Occident (2). Ne subsistaient à l’Ouest que deux pouvoirs
issus partiellement de l’ancienne Rome. Celui d’abord des rois et chefs
germaniques adoubés par l’Empire, qui sont à l’origine de tous les
royaumes européens. Celui, ensuite, plus ou moins concurrent d’une
Église, riche et puissante, représentée par ses évêques, héritiers de
l’administration diocésaine romaine.
Ce serait trop simplifier les
choses que de distinguer alors pouvoir politique et pouvoir religieux,
tant ce dernier disposait d’une part notable de la richesse et de la
puissance publique. Mais dans ce monde neuf d’un Occident en ébullition,
vont apparaître bientôt deux autres pouvoirs juxtaposés aux précédents,
celui du pape, évêque de Rome, et celui des empereurs d’Occident et de
rois qui, à la façon de Philippe le Bel, se voudront « empereur en leur
royaume ». Ainsi se dessine le cadre historique d’équilibres et de
conflits qui se sont prolongés jusqu’à nous (2).
Dominique Venner
Notes
J’ai
développé les observations de cet éditorial dans mon livre Le Choc de
l’Histoire (Via Romana, 2011). Notamment p. 108 et suivantes, que
complètent les réflexions du chapitre Mystique et politique (p. 155).
L’Empire d’Occident fut relevé en l’an 800 par Charlemagne, ce qui suscita l’irritation de l’empereur byzantin.
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