Vent du sud
Le 14 novembre prochain, dans les trois pays
européens les plus durement touchés par la crise, un grand mouvement de
grève générale se dessine. Les salariés grecs, espagnols et portugais
descendront dans la rue le même jour pour protester contre les
politiques d’austérité et de récession qui saignent leurs pays à blanc.
Signe des temps, la Confédération européenne des syndicats (CES), qui
se situe pourtant d’ordinaire sur une ligne très réformiste, a décidé
d’appuyer le mouvement en décrétant une journée d’action européenne ce
même 14 novembre. Rien d’étonnant à tout cela. On sentait depuis
plusieurs semaines la colère monter dans les rues des grandes capitales
européennes. Le 15 septembre, en Espagne et au Portugal, une journée
commune de protestation, rassemblant des masses impressionnantes, a
rapidement tourné à l’émeute. Le 9 octobre, 30 000 personnes ont
manifesté à Athènes contre la venue de Mme Merkel, en débordant là
encore la police. Au cri de « Dehors, le IVe Reich », des salariés très
en colère pendaient l’effigie de M. Schaüble, l’ennemi des Grecs, le
chien enragé de la CDU allemande. Le 21 octobre, à Londres et à Rome,
des centaines de milliers de manifestants défilaient derrière les
banderoles des syndicats en conspuant allègrement MM. Cameron et Monti,
Mme Merkel et les gouvernements aux mains des banques. Le 12 novembre,
deux jours avant la grève générale, ce sera au tour de la jeunesse
portugaise de protester contre la venue à Lisbonne de la chancelière
allemande. Elle sera, nous dit-on, bien reçue !
Il faut se féliciter de la tournure politique que prennent les
évènements. Pour des millions de salariés européens, l’heure n’est plus à
la protestation ni à l’indignation, elle est à l’action. Les
manifestants de Madrid, de Rome ou d’Athènes n’hésitent plus à pointer
du doigt les coupables, les responsables, ceux qui, au niveau de chacun
des pays ou à l’échelle de l’Europe toute entière, organisent la
récession, ouvrent les vannes du chômage, fragilisent les droits sociaux
au nom du libéralisme, de la compétitivité et du sauvetage de l’euro.
Leur colère a désormais un visage, des visages : celui de Mme Merkel,
ceux des hobereaux arrogants du gouvernement allemand, ceux de
MM. Draghi, Barroso, Juncker, Van Rompuy ou Monti, tous les exécutants
zélés des mauvaises médecines décidées à Bruxelles, à Francfort et au
FMI, par les amis des banques et des marchés. D’où l’inquiétude d’une
partie des dirigeants politiques face à ce qui commence à ressembler à
une lame de fond. Et en premier lieu des sociaux-démocrates. On comprend
mieux pourquoi le parti socialiste portugais, par la voix de son
secrétaire général M. Seguro, vient de prendre ses distances avec le
gouvernement libéral de Lisbonne et sa ligne « austéritaire ». On
comprend mieux pourquoi, à Rome, les socialistes et les démocrates de
gauche s’apprêtent à lâcher M. Monti, après avoir été son meilleur
soutien. On s’explique mieux pourquoi en Espagne et en Grande Bretagne,
l’opposition de gauche donne subitement de la voix. Les citoyens et les
électeurs, que l’on cherche à l’évidence à récupérer, seront-ils dupes
de ces volte-face ? Rien n’est moins sûr. Quand à ceux qui pensent que
l’Europe irait mieux si elle était entièrement de gauche, ils ont perdu,
eux aussi, beaucoup crédibilité. Ce n’est pas un hasard si M. Mélenchon
ne fait plus recette à Paris et si M. Tsipras, le chef de la gauche
radicale grecque, s’est fait sifflé en défilant dans les rues d’Athènes
bras dessus, bras dessous avec les responsables allemands de Die Linke !
La stratégie du Front de gauche européen a, elle aussi, fait long feu.
La suite dans la Revue des Idées et des Livres
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