Aymeric Chauprade, de passage à Paris la semaine dernière, a bien voulu nous accorder un entretien sur la situation aux Proche et Moyen Orients.
L’Action Française : Comment comprendre ce qui se passe en Syrie ? et plus généralement au Moyen-Orient ?
Aymeric Chauprade : Pour comprendre la géopolitique du Moyen-Orient, il faut avant tout envisager la combinaison de trois logiques : celle des forces intérieures qui s’affrontent à l’intérieur des Etats — conflits ethniques (Kurdes et Arabes), ou confessionnels anciens (chiites, sunnites, Alaouites, chrétiens...) ; celle des logiques d’influence des grands acteurs de puissance régionaux (l’Iran, l’Arabie Saoudite, le Qatar, Israël, la Turquie, l’Egypte...) qui utilisent les logiques communautaires pour imposer leur influence (Liban, Syrie, Irak) ; enfin le jeu des grandes puissances (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) sur fond de géopolitique du pétrole et du gaz.
Commençons par le jeu des grandes puissances...
Les Etats-Unis, après l’effondrement de l’URSS, ont tenté d’imposer l’unipolarité, c’est-à-dire un monde centré sur leur domination géopolitique, économique, culturelle (softpower).
Mais Washington a compris très tôt que la Chine marchait vers la place de première puissance mondiale, perspective incompatible avec la projection géopolitique mondiale des Etats-Unis, qui dominent encore l’Europe avec l’OTAN, contrôlent l’essentiel des réserves de pétrole du Moyen-Orient et tiennent les océans grâce à leur formidable outil naval.
Or dans cette compétition entre les Etats-Unis et la Chine, le Moyen-Orient tient toute sa place puisqu’il représente 48,1% des réserves prouvées de pétrole en 2012. Pour les Etats-Unis, contrôler le Moyen-Orient, c’est donc contrôler largement la dépendance de l’Asie et en particulier celle de la Chine.
Il se passe donc exactement ce que j’écrivais il y a déjà presque dix ans (ce qui ne me rajeunit pas !), au moment de la Deuxième guerre d’Irak. Les Etats-Unis ne cherchent pas à contrôler le Moyen-Orient pour leur propres approvisionnements puisqu’ils s’approvisionneront de moins en moins au Moyen-Orient (aujourd’hui déjà le continent africain pèse plus dans leurs importations), mais pour contrôler la dépendance de leurs compétiteurs principaux, européens et asiatiques.
Quel est le lien avec la Syrie ?
On en parle peu, mais la Syrie joue un rôle stratégique dans les logiques pétrolières et gazières au Moyen-Orient. Du fait même de sa position centrale entre les gisements de production de l’Est et la Méditerranée orientale, la Syrie est un enjeu stratégique de premier plan, d’autant qu’elle dispose de réserves dans son sol et probablement en off-shore. Or l’avenir c’est le off-shore profond et cela va donner à la mer une dimension géopolitique considérable. [...]
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