
Ecrivain et journaliste, spécialiste des questions religieuses, Gérard Leclerc est éditorialiste à l’hebdomadaire France Catholique et tient une chronique quotidienne sur Radio Notre-Dame. Il a bien voulu répondre à nos questions sur la renonciation du pape et ses conséquences pour l’Eglise.
L’Action Française : Comment interpréter la renonciation du pape à exercer ses fonctions ?
Gérard Leclerc : La réponse, qui est simple, se trouve dans les propos du pape : il lui a semblé en conscience ne plus avoir les moyens d’assumer la charge pontificale, qui est considérable. Il reconnaît humblement qu’il n’en a plus la force et donne donc aux cardinaux mandat d’élire un successeur. Cette décision contraste évidemment avec celle de Jean-Paul II — les commentateurs ne se sont pas fait faute de le souligner. Il faut savoir que c’étaient deux hommes à la fois très proches et de tempérament très différents. Jean-Paul II, qui était un mystique presque romantique, de plus polonais, a vécu sa charge de souverain pontife dans une adéquation aussi totale que possible au mystère de la croix, c’est-à-dire jusqu’au sacrifice suprême. Benoît XVI est plus rationnel, non pas au sens où Jean-Paul II aurait été irrationnel et Benoît XVI ne serait pas mystique, mais au sens où Ratzinger a longuement soupesé les raisons qui le conduisaient à renoncer à sa charge : il est arrivé à la conclusion qu’il ne pouvait plus l’exercer.

Est-il déjà possible de tirer un premier bilan de ce pontificat par-delà la mauvaise foi médiatique ? On connaît les défis que le pape a dû affronter durant ces huit ans de pontificat. On gardera le souvenir d’un pape intellectuel. On retrouve toutes les orientations fondamentales de ses recherches de théologien dans l’enseignement, très personnel, qu’il a prodigué durant son magistère pétrinien, au travers notamment de ses trois encycliques. Les deux premières concernent les vertus théologales que sont la charité (Deus caritas est en 2006) et l’espérance (Spes Salvi en 2007) et on attendait une encyclique sur la troisième vertu théologale, la foi, qui n’est pas venue, alors que nous sommes dans l’année de la Foi., ce qui est un paradoxe. Mais on retiendra aussi sa troisième encyclique, publiée en 2009, Caritas in veritate, sur les questions sociales. Cette encyclique témoigne d’une conscience éclairée des problèmes de l’économie mondialisée : non seulement elle repose sur une critique très directe de la spéculation et insiste sur la nécessité d’une véritable régulation mais, surtout, elle réhabilite la notion du don, ce qui n’est pas rien dans le monde d’aujourd’hui. Une telle philosophie sociale est évidemment difficile à mettre en œuvre mais elle a le mérite d’éclairer les consciences en matière économique alors même que la période de ce pontificat a couvert une des crises les plus graves liées à la mondialisation.

S’agissant de la question de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, sur laquelle vous vous êtes penché à travers deux ouvrages [1], l’action du pape vous paraît-elle avoir été bénéfique ? Mgr Fellay a déclaré à Nouvelles de France le vendredi 15 février que « l’acte le plus important [du pontificat] fut la publication du Motu Proprio Summorum Pontificum qui accorde aux prêtres du monde entier la liberté de célébrer la messe traditionnelle. » [2] Qu’en pensez-vous ?
Benoît XVI a voulu régler la question du lefevbrisme pour deux raisons essentielles. Tout d’abord, comme pape, il lui était insupportable de voir se creuser un schisme au sein de l’Eglise. Ensuite, il pensait que le dialogue avec les traditionnalistes pourrait servir au bien de l’Eglise tout entière. Je pense à Urs von Balthasar, pour qui l’Eglise reposait sur un carré apostolique : Pierre incarne l’institution, Paul est le grand missionnaire, Jean le grand mystique et Jacques, l’évêque de Jérusalem, représente la tradition. La figure de la tradition est importante dans la représentation de l’Eglise et Benoît XVI voulait rééquilibrer l’institution, notamment dans le domaine liturgique. Le cardinal Ratzinger avait beaucoup écrit sur la question et, visiblement, il était en désaccord avec la façon dont la constitution conciliaire sur la liturgie avait été appliquée. Il pensait qu’un retour du rite tridentin ne pourrait qu’enrichir le rite hérité de Paul VI. Il attendait donc un bénéfice pour l’Eglise entière d’un rapprochement avec les traditionnalistes. Malheureusement, dans l’immédiat, c’est incontestablement un échec. La Fraternité Saint-Pie X a peut-être laissé passer une occasion extraordinaire car rien ne dit que le prochain pape leur prêtera la même attention.
Jean-Paul II fut, notamment, le pape de la fin du communisme. Quels défis prioritaires devra relever le prochain pape ?nLe défi principal sera de savoir gouverner une Eglise devenue véritablement « catholique », c’est-à-dire universelle aussi au sens géographique : non seulement elle croît sur les cinq continents, mais, en nombre de fidèles, le continent européen est devenu minoritaire. Incontestablement, l’européocentrisme n’est plus de mise. Le prochain pape devra avoir un regard aussi large que le monde. Jean-Paul II et Benoît XVI portaient déjà un tel regard sur l’Eglise : polyglottes et grand voyageurs tours deux, ils avaient un grand sens de la diversité des cultures du monde. Le prochain pape devra également être un chef, c’est-à-dire être pourvu des qualités politiques au sens éminent du terme, pour diriger cette Eglise mondiale. Il devra aussi, bien évidemment, être théologien, pour réaffirmer le message de l’Eglise face aux défis de la modernité.

Propos recueillis par Axel Tisserand - L’AF 2857
[1] Gérard Leclerc : Lefebvristes : le retour - Pourquoi le dialogue est difficile mais intéressant, Salvator, 2012 ; toujours chez le même éditeur en 2009 : Rome et les Lefebvristes.
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