Lorsque j’étais aspirant-guide de haute montagne en Suisse, dans les années 50, j’avais dans ma cordée et donc sous ma responsabilité ma soeur Isabelle, tandis que notre guide Roger Parisod traçait la voie pour mon frère François et ma soeur Hélène. Après avoir gravi et parcouru les arêtes des aiguilles du Tour, nous devions rejoindre le glacier. La rimaye était impressionnante, cette première crevasse entre névé et glacier, cinq mètres entre chaque lèvre de cette bouche béante et insondable, mais heureusement presque à la verticale. Un bel élan et l’on atterrissait en contrebas sur l’autre lèvre de la crevasse. Roger, François et Hélène étaient déjà sur l’autre bord. Isabelle, tétanisée ce jour là, ne pouvait sauter. Les mots ne parvenaient pas à la rassurer ni lui faire franchir le vide. Le guide m’a alors lancé une corde que j’ai nouée à la taille de ma soeur, tel un cordon ombilical. Sur un signe de Roger, j’ai poussé Isabelle, tandis que lui tirait de son côté. Elle atterrit sans mal près de l’autre cordée, heureuse d’avoir surmonté sa peur. Elle m’a remercié de lui avoir rendu son énergie.
Quelques années plus tard, durant la "guerre" d’Algérie, j’avais reçu un renseignement m’indiquant qu’une troupe de Fellaghas devait attaquer, de nuit, une ferme gardée par trois de mes hommes. Je réunis le reste de mon peloton pour leur expliquer le rôle précis de chacun dans l’embuscade que je comptais mettre en place pour protéger leurscamarades. J’ai également prévenu par radio les gardiens de la ferme afin qu’ils ne tirent pas dans notre direction lorsque le feu se déclencherait... Cela advint en pleine nuit noire. J’allais de l’un à l’autre pour leur insuffler courage, leur indiquer où tirer, leur démontrer que les balles ne pouvaient les atteindre, puisque j’étais debout à leur côté. Ce fut bref, mais intense. Aucun blessé dans mon peloton et les gardiens de la ferme indemnes.
Servir, c’est montrer l’exemple, parfois avec témérité, c’est aussi savoir calculer le risque, tout en conservant le respect de ceux dont on est responsable, quelque soit leur faiblesse ou leur bravoure.
Au niveau suprême, celui de l’Etat, servir suppose des qualités que l’on ne nous enseigne plus à l’école et encore moins à l’E.N.A., où l’on formate des intelligences dans le sens unique que l’on voudrait imposer à des "rats" soumis à une obédience inéluctable : à chaque erreur une décharge électrique les remets dans la voie estimée la seule acceptable pour sortir du labyrinthe. Devenir adulte et maître non seulement de sa propre destinée, mais de celle de tout un peuple, n’est-ce pas une exigence de remettre en question des principes qui, certes parfois peut-être essentiels, sont à calibrer au plus près de l’intérêt commun, l’intérêt général ?
Nous sommes actuellement otages d’un étrange spectacle, notre société croit avoir trouvé la liberté, mais elle se comporte dans certains domaines pire encore que du temps où on ne savait pas qu’elle pût exister. L’appétit du pouvoir et de l’argent paraissent être désormais les seuls moteurs de l’ambition et on assiste au développement de tous les fanatismes, de toutes les escroqueries, à la prolifération des mafias, au manque généralisé de tolérance et de compréhension d’autrui, à des actes provocateurs, à la disparition du goût, de la mesure, de la réflexion sur le présent et sur l’avenir, générant ainsi la disparition et la fuite de ceux là même qui seraient prêts à aider un petit peuple en désarroi.
La suite sur le site de l’Institut de la Maison Royale de France
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