Un professeur de la fac s’insurge contre une pièce de théâtre qu’il juge antisémite. Les étudiants, et tous ceux qui les ont encadrés, protestent
Une pièce produite à l’université suscite la polémique. (photo archives Xavier Léoty)
La pièce de théâtre dont le but affiché était de dénoncer « la finance folle » est-elle antisémite ? Non, assurent sincèrement tous les protagonistes. Si, prétendent quelques autres personnes dont un professeur de l’université, Michel Goldberg, qui vient de recevoir le soutien de Richard Pasquier, président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France). Il condamne cette pièce « grossièrement antisémite » et aurait aimé que « les autorités académiques la désavouent ». Sa réaction figurant dans la dernière newsletter quotidienne du Crif relance une polémique qui a agité l’université rochelaise.
Du point de vue de Michel Goldberg (dont le patronyme est aussi celui d’un personnage juif de la pièce), ce texte reproduit des stéréotypes antisémites. Il cite un des personnages du spectacle, qui, en plus s’appelle également Goldberg, et souligne : « C’est un juif qui ne pense qu’à l’argent, qui domine le monde et ne souffre pas de la crise, qui vole le peuple sans cesse, qui avance masqué mais réapparaît dès qu’il est possible de faire de l’argent. »
« Tous les stéréotypes… »
« On m’a expliqué que tous ces stéréotypes étaient là pour être dénoncés, écrit-il dans un des textes qu’il a rédigés depuis la représentation de cette pièce. Selon des membres de la troupe, tous les personnages étaient déshumanisés et stéréotypés, pas seulement les juifs : la Chinoise tenait un balai, la prostituée était vulgaire […]. Puisque tout le monde en prend, pourquoi pas les juifs. Je me permets simplement de rappeler que tous les stéréotypes n’ont pas la même histoire. Certains stéréotypes ont servi à tuer. Ils ont même beaucoup tué. »
Cela dit, il ne reproche pas au metteur en scène, Claudie Landy, d’être antisémite et il rappelle qu’elle a «beaucoup travaillé contre le racisme» mais, en l’occurrence, il parle globalement de « dérapage malvenu. »
Michel Goldberg a rapidement avisé le président de l’université, Gérard Blanchard. Lequel regrette que son collègue avec qui il entretient de bonnes relations ait été meurtri.
« Sortis de leur contexte »
Mais lui-même n’a pas vu la pièce et ne peut pas se prononcer. Il se contente d’expliquer dans quelles conditions elle a été montée. En effet, même s’il n’existe pas de comité de censure, ce que d’ailleurs ne réclame pas Michel Goldberg, les jeunes ne sont pas livrés à eux-mêmes. « Ce n’est pas quelque chose qui a été fait sur un bout de table par des étudiants ayant perdu la tête », dit-il.
Un artiste québécois en résidence a travaillé le texte avec eux, le centre Intermondes de La Rochelle est également partie prenante, tout comme l’espace culturel de l’université.
Gérard Blanchard admet qu’à la simple lecture certains propos, peuvent « paraître lourds ». Relevons par exemple, cette citation de la patronne de la Goldberg & Coun : « Et oui : l’argent ne dort jamais et nous, nous n’avons pas souvent sommeil ».
Un débat contradictoire
Mais il s’agit de bribes sorties de leur contexte, difficiles à juger sans avoir assisté à la représentation. Et Gérard Blanchard rappelle un point capital : « cette pièce a été écrite uniquement pour être jouée ». C’est le fondement de cet exercice, le texte est rédigé au fur et à mesure des répétitions. « Je n’accepterai jamais dans mon établissement des comportements irrespectueux ou racistes, dit-il. Mais il est difficile de limiter la création dans la mesure où la couleur est avancée. Il s’agit d’une pièce caustique à prendre au second degré. Mais quand j’ai vu la réaction de mon collègue, j’ai proposé un débat contradictoire ». Et il a eu lieu avec tous les protagonistes, même l’auteur québécois y a participé en visioconférence.
Michel Goldberg n’a pas été convaincu par les réponses apportées dans le cadre de cette confrontation animée, « violente » même, selon certaines personnes présentes.
« Pas antisémite »
En tant que vice-présidente de l’université chargée de la culture, l’élue municipale Catherine Benguigui se dit «extrêmement attristée par cette histoire ».
« Mon rôle, ajoute-t-elle, est de favoriser l’expression des étudiants mais dans un cadre professionnel. Nous n’avons aucun doute sur la valeur des personnes qui ont contribué à l’écriture de ce texte. On travaille en confiance. J’ai vu la pièce lors de la première représentation, le 3 avril, à La Pallice, je n’ai eu aucun soupçon, d’aucune sorte. Les propos tenus par des personnages sont volontairement outranciers mais il n’y a aucune intention de blesser.Les personnages disent des choses mais cela ne veut pas dire qu’ils les pensent. C’est un non-sens de l’interpréter ainsi. C’est difficile de manier l’humour mais ce n’est pas du tout une pièce antisémite».
Une comédie
Même écho chez Claudie Landy, metteur en scène : « Je ne comprends pas ce jugement d’antisémitisme. Les étudiants voulaient cette année travailler sur une comédie. On a joué avec les codes du théâtre, l’espace, le temps… C’est un propos artistique et critique, une condamnation du monde de l’argent. Je trouve intéressant que les jeunes réfléchissent ainsi, même si parfois il y a des maladresses.Dans cette pièce qui joue avec les clichés, tous les personnages sont gratinés ».
De son côté, Henri Moulinier, président de la Ligue des droits de l’homme mais qui s’exprime à titre personnel, avoue qu’il n’a pas assisté à la représentation mais en revanche, il a lu la pièce « en entier ». « Je ne mets pas en cause les étudiants, ni leur encadrement. Ils ont voulu faire de la satire, il n’y a pas d’intention malveillante. Mais à mon avis, il y a des expressions antisémites et la forme est critiquable. Or, un produit culturel ce n’est pas que le fond, la forme compte aussi.Il faut faire attention dans le contexte actuel où l’on constate une progression du racisme au quotidien »
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