mercredi 22 mai 2013

0 « PARIER AVEC PASCAL » ?




Guillaume de Tanoüarn, Parier avec Pascal, coll. « Théologies », éd. du Cerf, Paris, 314 pages, Le dernier livre de l’Abbé Guillaume Tanoüarn présente toutes les qualités qu’on lui connaît : honnêteté parfaite, saine curiosité intellectuelle, noble goût du dialogue avec les âmes, joie, recherche authentique de la vérité – d’une vérité qui ne saurait être que chrétienne, cela va de soi.
Appliquez ces qualités à un penseur comme Pascal, et plus précisément au « pari » qui prend place dans ses Pensées – mais quelle place en fait ? le sujet est débattu – et vous aurez ce livre qui, s’il ne vous fera pas forcément « parier avec Pascal », selon son ambition – nous allons dire pourquoi –, vous fera cheminer avec ce dernier.
L’Action française et Pascal
Remarquez que la confrontation avec Pascal est, quasiment, une tradition d’Action française. Maurras lui était profondément hostile : il le trouvait, comme tant d’autres, glaçant, et il lui en voulait d’avoir contribué à le désespérer au moment où, adolescent, il ressentait les premières atteintes de la surdité. Il est remarquable que son dernier livre s’emploie à se le figurer « puni » aux enfers, comme dans un ultime mouvement de vengeance, après qu’il eut donné le motif fondamental de son refus de la dialectique pascalienne – puissamment à l’œuvre dans le « pari » justement ! –, à savoir le discrédit porté sur la raison. (Soit-dit en passant, il n’est pas certain que la critique de Maurras soit très solide, sauf pour ce qui est de la formule de Pascal : « Je crois volontiers des témoins qui se feraient égorger », mais elle témoigne de la bonne santé d’une confiance sise dans la raison humaine.) On sait par ailleurs que Pierre Boutang consacra ses dernières années à un Pascal resté malheureusement inachevé. Et voici que notre cher Abbé d’« AF » s’y met à son tour ! Il doit y avoir une explication… dont nous avouons qu’elle nous échappe.
L’ouvrage du Père Guillaume de Tanoüarn est éminemment personnel : une « confrontation », disions-nous plus haut. Il ne s’agit donc pas d’une étude de type universitaire dans laquelle le chercheur s’effacerait méthodiquement derrière son sujet. Il le reconnaît d’ailleurs bien volontiers en se référant à une bibliographie large et solide. Cette lecture engagée ne nuit cependant en rien à l’épreuve de vérité que sollicite, de toute façon, Pascal. Encore que ce ne soit pas tant l’auteur lui-même que Pascal qui est d’abord en cause dans sa lecture :
« Dès l’instant où je me suis sérieusement confronté à l’auteur des Pensées, j’ai été comme aimanté par ce texte provocateur, impératif et parfois obscur que l’on appelle couramment le “pari de Pascal”. J’ai voulu mâcher et remâcher les fragments ordonnés de la réflexion pascalienne, et j’en suis venu à considérer que ces quelques pages offraient un débouché au cœur même de la fabrique mentale du jeune prodige, en fournissant une sorte de résumé, à la fois abouti et allusif, de toute la démarche de l’homme, du savant, du philosophe et du théologien “sur la vérité de la religion chrétienne”. »
Nous y avons fait allusion : il y a débat autour de l’importance du pari dans l’économie générale des Pensées. D’un côté, il peut paraître central dès lors que ce serait le libertin, négligent, indifférent ou se divertissant qui serait le destinataire – la cible ? – de cette apologétique. De l’autre, il est bien évident que beaucoup de « pensées » développant nombre de problématiques ou d’exégèses chrétiennes disons « sophistiquées » peuvent être présumées étrangères à ce libertin que l’on imagine pressé de retourner à ses plaisirs, et, en conséquence, également étrangères à la dialectique du pari lui-même, laquelle a tout intérêt à vite emporter le morceau… La propre interprétation – ou le pari sur le pari – de Guillaume de Tanoüarn serait cependant que ce dernier, loin d’être seulement une manœuvre habile, enfermerait – « résumerait » – donc le tout de la réflexion de Pascal, y compris « savant » ( ?), concernant « la vérité de la religion chrétienne ». Et, de fait, Guillaume de Tanoüarn donne – à raison – au pari une dimension aussi bien « existentielle », que « métaphysique » que l’on ne lui reconnaît pas forcément, ou suffisamment, d’emblée ; puis, de proche en proche, c’est tout le christianisme qui, passant de l’ « allusif » à l’explicite, est pour ainsi dire convoqué. Au terme de cette opération, le chrétien qu’il est, et son lecteur, peuvent méditer sa « foi » – à travers le pari. La question que l’on peut se poser alors est de savoir si le libertin « athée » n’est pas oublié et le pari détourné de sa fonction expresse de conversion pour une autre, d’illustration…
Pari du libertin… ou du chrétien ?
Il serait pourtant excessif de dire que la lecture de Guillaume de Tanoüarn devient prétexte à repenser le christianisme et sa métaphysique de l’existence et de l’être à l’aune du pari : ce dernier en demeure bien un pour lui ! Une des forces de l’ouvrage est précisément de montrer qu’il est fort naturel, humain et finalement beau de parier (de « jouer ») :
« Et le pari n’est pas seulement un mauvais “truc” d’apologiste, à l’usage de libertins qui seraient mal embouchés et ne comprendraient que les arguments qui émeuvent le joueur. C’est une catégorie essentielle de la pensée humaine, cette catégorie que nous chercherons à définir sous les noms de “foi humaine” ou de “foi naturelle”. On la trouve chez Pascal, mais en y réfléchissant on la trouve également chez Platon. Dans le Gorgias, poussé à bout par Calliclès, qui est certainement le plus sophiste des sophistes, Socrate, le protégé de la Pythie delphique, ne trouve rien de mieux à avancer, pour répondre aux blasphèmes et aux négations du sophiste, que : “Cela vaut vraiment la peine.” Et dans le Phédon, lorsqu’il refuse de s’évader et qu’il accepte de boire la ciguë, dans ce qui est un véritable pari sur la sainteté de la loi (theia mora), Socrate ne sait que dire : “Kalos o kindunos”, c’est un beau risque que je te propose. Phédon, Gorgias : il me semble que nous possédons, dans ces dialogues, comme une première ébauche de cette pensée nouvelle qui est une pensée de risque ou plutôt de soi : la pensée de la foi. »
Guillaume de Tanoüarn peut alors ajouter que Platon a, en « langage chrétien, qui s’est imposé partout », fait un « acte de foi », lequel, chez Pascal, deviendrait « pari ». Il a donc excellemment montré la beauté qu’il y a, disions-nous, à parier. – Mais est-ce une âme platonicienne et… chrétienne que Pascal sollicite dans ces pages qu’il désigne, quant à lui, par le titre « Infini-rien » ? Nullement ! Pascal a connu et fréquenté des libertins (qu’il ne méprisait ni ne mésestimait d’ailleurs) pendant sa période mondaine, et il sait que ces derniers n’éprouvaient ni vide existentiel particulier ni n’aspiraient « secrètement » à quelque beauté supérieure et idéale, selon un schéma « augustinien » par trop théorique. Songeons par exemple à Saint-Évremond (que la lecture du pari laissa froid) que l’on ne saurait qualifier de « mal embouché » – non plus que le chevalier de Méré ou le profond poète Des Barreaux d’ailleurs... C’est pourquoi le type de pari que Pascal conçoit ne relève ni de la séduction ni même du salut, mais de la contrainte de l’espèce la moins morale : vous êtes « embarqués », ne risquez pas l’ « enfer » et d’ « être malheureux à jamais » : calculez, « gagez », puis prenez enfin le bon parti – « bon » au sens de pertinent, non pas au sens de ce qui serait beau, digne et noble. (Ce qui ne veut pas dire que, le libertin ayant parié par intérêt ne puisse, dans un deuxième temps, s’« abêtir » pour croire vraiment, puis aimer…)
L’efficacité douteuse du pari
En fait, Guillaume de Tanoüarn n’ignore pas cette logique, pour ainsi dire sèche, du pari : à preuve, il reproduit fidèlement l’excellent résumé de son argument qu’en a fait Émile Boutroux . Mais il ne la retient pas. Pourquoi ? À notre avis parce que n’étant ni libertin lui-même, ni s’adressant à des libertins, il a voulu utiliser (instrumentaliser ?) le pari de Pascal pour, oserions-nous dire, le saturer de pensée et de foi catholiques, jansénistes et, naturellement, pascaliennes. (Et il faut avouer qu’il a parfaitement réussi dans cet heureux détournement !) En d’autres termes, Guillaume de Tanoüarn a selon nous montré, avec autant de profondeur que de sensibilité, non pas tant ce qu’il y a dans le pari que ce qui se trouve derrière. Formellement, il a tort puisque le pari n’a pas pour fonction de faire aimer Dieu à l’incrédule libertin, mais de l’engager brutalement dans une voie qu’il ne cherchait nullement. Mais sur un autre registre il a raison, puisque c’est bien la charité chrétienne de Pascal qui lui fait inventer le pari et lui donne son sens ultime. Et son propos rejoint bien celui, foncièrement apologétique, de Pascal : justifier la religion chrétienne et, pour commencer, le dogme du péché originel.
Maintenant, une question demeure, qui est aussi objet de débat : Pascal a-t-il sérieusement cru que son pari pouvait entraîner le libertin après qu’il l’eut sidéré, plus par la peur induite de l’enfer que par la promesse d’une « béatitude » irreprésentable pour lui ? C’est ce dont on peut douter… En théorie, ce dernier est aussi imparable que les « cinq voies thomistes » – dont l’enjeu existentiel n’est pas moindre, quoique plus implicite. Mais de même que ces voies n’ont, en fait, jamais convaincu que ceux qui étaient déjà persuadés par grâce et dans leur « cœur ». (Cf. « Dieu sensible au cœur et non à la raison. »), de même en est-il avec le pari – tant il est vrai que nul ne pariera jamais sur Dieu qu’il ne l’ait déjà trouvé…
Jean-Marc JOUBERT - L’AF n° 2863
Abbé Guillaume de Tanoüarn, Parier avec Pascal, éd. du Cerf, coll. Théologies, 314 pages, 28 euros.

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