vendredi 28 septembre 2012

0 Roger Nimier ...

Le mousquetaire à l’épée brisée

Pour commémorer le cinquantième anniversaire de la mort de Roger Nimier- par Gérard Joulié*
Il rêvait de refaire Dumas, mais les temps n’étaient plus aux romans de chevalerie ou de cape et d’épée. Il n’était plus l’heure de grimper par des échelles de soie dans les appartements des duchesses.
Plus de Table Ronde et plus de quête du Graal.Plus de roi à rétablir sur son trône ni de reine à sauver du déshonneur, ni de princesses captives à délivrer de leur donjon.La femme était émancipée une fois pour toutes et son émancipation et sa délivrance n’étaient dues à aucun fait de chevalerie. Les reines du jour étaient les stars de cinéma qui jouaient les reines à l’écran.Le monde était d’ailleurs en train de devenir une immense salle de cinéma, en attendant la multiplication miraculeuse des salles par la télévision, et plus tard le home movie. Science et démocratisation marchaient de pair, et l’humanité vivait par procuration. Pour faire battre le cœur d’une jeune fille, il fallait l’emmener dans sa voiture de course et faire du trois cent à l’heure sur l’autoroute, luxe qui nous est interdit aujourd’hui.
C’était le temps des grandes personnes et des entreprises sérieuses : commerce, industrie, recherche. Les hommes avaient décidé de bâtir un monde juste et fraternel, humain, purement humain, débarrassé une fois pour toutes des vieilles lunes de la superstition, des mythes et des religions.Le marxisme, le freudisme et l’existentialisme étaient les philsophies à la mode.On décolonisait à tours de bras. La France se repliait sur elle-même pour mieux disparaître dans l’Europe de l’économie. Les jeunes femmes qui avaient quitté la campagne pour aller travailler en ville, n’allaient plus confesser à un prêtre les péchés de leur chair, elles s’allongeaient sur le divan d’un sexologue pour apprendre comment faire pour avoir le plus d’orgasmes possibles.On était entré de plain pied dans le monde du capitalisme, des histrions, du show-bizz, des jeux du cirque et des clubs de foot côtés en bourse. Le sport avait remplacé la guerre.
La France de Barrés, de Péguy, de Bernanos, de Maurras et de Mauriac, celle des saints et des héros était en train de foutre le camp. Que restait-il ? L’amitié ? Les copains ? Si encore, faute de pouvoir restaurer, on avait pu conspirer, comme à l’époque de la Fronde ?
Où était la bergère dont on suivrait l’étendard ? Le Bonaparte qui nous conduirait en Egypte ou en Russie ? Le Rancé qui nous mènerait à la Trappe ? Ou le Foucauld au Sahara ? Ni le rouge, ni le noir. Ni l’église ni l’armée. Quant à la diplomatie… Les temps du prince de Ligne et de Julien Sorel étaient passés.
L’amitié de Chardonne et celle de Morand, deux exilés dans leur sièce, deux émigrés de l’intérieur, deux vieux totons auxquels on envoyait des maximes et des épigrammes. On était un jeune homme triste au volant d’une voiture de sport. Drieu encore avait cru ou feint de croire à des rêves de restauration.A un nouveau moyen-âge, à un mariage rimbaldien de l’âme et du corps.Réconcilier comme Malraux l’avait tenté la France des soldats de l’An II et celle des croisades et des cathédrales.. . Mais la France avait disparu corps et âme dans la machine à laver, l’aspirateur, le frigidaire, les congés payés, les retraites et le tourisme de masse. Avant de rétablir un roi, il fallait refaire un peuple, lui rendre une âme, un cœur et le faire battre au son d’un même tambour. Il ne suffisait pas de refaire la France sur le papier, et de restaurer la royauté par voix démonstrative et à coups de syllogisme , comme l’avait fait ce merveilleux lutteur de Maurras.
On ne pouvait non plus recommencer Larbaud, ce merveilleux fils à maman, qui traversait l’Europe d’avant 14 dans son train personnel, et qui mettait un mois pour aller de Lisbonne à Rio en transatlantique, avec un valet de chambre, une bibliothèque et toute une armada de dictionnaires.Il n’y avait du reste plus de petites filles modèles , même en Amérique latine,élevées par des bonnes sœurs et gardées par des duègnes.
Que restait-il ? L’amour ? Celui des jeunes américaines , héritières des héroïnes d’Henry James, qui traversaient l’Atlantique pour apprendre l’amour à la française des petits neveux de Valmont.
La littérature ? Pour écrire quoi ? Le mal de vivre ? Le malheur d’être né ? La plume remplaçant l’épée, pour maudire le présent et pleurer le passé ? Fleurir les tombes des morts ? Et être invité à parler de son dernier bouquin dans une émission littéraire à la télé ? Qu’on s’imagine Bossuet, Racine ou Saint-Simon se livrer à ce petit exercice de l’interview pour faire sa pub et sa promo. Et puis, le temps passant, et les livres s’accumulant, cesser d’être le fringant mousquetaire français,et de collectionner les aventures comme Nabokov les papillons sur les hauts de Montreux. Le jazz, le whisky, les boîtes de St Germain des Près, la drogue, Boris Vian. L’abjection, le déshonneur , la démission, la trahison, l’infidélité, sous le couvert du changement , de l’évolution et de la consommation.
Croire à la littérature, aux arts, aux sciences, aux spectacles, à l’expression narcissique de soi quand on ne croyait plus en Dieu, quelle pitié et quelle dérision.
Comme Radiguet Nimier ne connut pas la vieillesse. Les fées lui épargnèrent cette disgrâce.A peine posa-t-il le pied dans l’âge mûr. Il n’eut pas à avoir à se répéter comme ceux qui n’ont pas la force de se taire, et qui aiment pourtant à faire parler d’eux.
Il disparut au volant d’une voiture de sport en compagnie d’une jolie femme.L’ange de la mort les emporta tous deux dans l’au-delà où les hommes faits redeviennent des enfants et où le dieu des philosophes redevient celui d’Abraham.
Gérard Joulié - Article initialement paru dans L’Action Française
*Gérard Joulié, rédacteur à L’Action Française est écrivain et critique littéraire

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