Devenues
des fabriques à chômeurs, les facultés de Lettres ont vu partir à la
fois leurs meilleurs étudiants au profit des grandes écoles et leurs
plus motivés au profit des filières professionnelles courtes. Ayant
fréquenté l’Institution durant 35 années et ayant une certaine
expérience des universités étrangères, je vois deux grandes causes à ce
naufrage : la massification et la secondarisation.
1- La
massification. Quand 80%, et parfois plus, d’une classe d’âge obtient le
baccalauréat, les universités qui ne pratiquent pas de sélection à
l’entrée du premier cycle sont automatiquement condamnées à devenir des
voies de garage pour masses illettrées. Or, sélection veut dire moins
d’étudiants… et par conséquent, moins de professeurs. La simple
évocation de cette idée provoque donc des transes syndicales.
2- La secondarisation. Pour mettre l’enseignement « supérieur » littéraire au niveau des masses illettrées qui s’y précipitent pour s’y noyer, il a fallu le secondariser, c’est-à-dire le « pédagogiser ».
La suppression du doctorat d’État ès Lettres en 1984 a accéléré ce
mouvement vers le bas. Trop élitiste aux yeux du bas clergé enseignant
qui dirige de fait le ministère depuis 1945, ce critère d’excellence du
recrutement des professeurs a été remplacé par un « petit »
doctorat n’autorisant plus ces grandes synthèses qui faisaient la force
de l’ancien et la réputation internationale des facultés de lettres
françaises.
Ce
constat étant fait, est-il encore possible de sauver les filières
universitaires littéraires? Clairement non ! Et cela parce qu’aucun
gouvernement ne se risquera à mettre en marche quatre grandes mesures
salvatrices :
1-
Répudiation de la massification au profit d’une re-élitisation. Le
contraire de ce qui est fait depuis des décennies, les ministres de « droite » comme ceux de gauche n’étant en réalité que les fondés de pouvoir des syndicats.
2-
Concours d’entrée à l’université, chaque établissement fixant ses
propres règles et étant libre du montant de droits d’inscription. Le
système des bourses permettrait à tous ceux qui en ont les capacités,
mais non les moyens, d’accéder à ces établissements. Le bouche à oreille
fonctionnant, les étudiants rechercheraient naturellement les
universités délivrant des diplômes valorisants. La hiérarchie par la
compétence remplacerait alors l’actuelle dictature du nombre.
3- Sur
le modèle anglo-saxon : liberté de recrutement du corps enseignant avec
prime donnée aux meilleurs afin de les fidéliser et notation des
professeurs par leur hiérarchie mais aussi par les étudiants. Pour avoir
enseigné durant une décennie dans un système nord-américain, je ne me
suis jamais considéré comme humilié quand mon doyen me demandait de
remplir annuellement une fiche concernant mes publications en cours,
celles à venir et la liste de mes participations à des colloques.
Professeur à l’École de Guerre, je n’y survis contre mes multiples
ennemis extérieurs que parce que les stagiaires notent les enseignants.
Sans cette salutaire mesure, les coteries idéologiques civiles qui ne
cessent de demander ma tête l’auraient obtenue depuis longtemps.
4- Audit sérieux sur ces filières alibi ne survivant que grâce à des « étudiants » venus des Tropiques. Ce système « gagnant gagnant »
connu de tous de par le vaste monde permet aux départements concernés
de justifier leur existence, donc leurs crédits, et aux étudiants
d’obtenir un visa, puis de rester en France une fois leur cursus achevé.
Une enquête sérieuse sur le sujet devrait être menée par la Cour des
Comptes.
En définitive, la seule solution serait de laisser naître des universités totalement autonomes, sans financement
de l’État, le rôle de ce dernier se limitant à octroyer des bourses
sous certaines conditions, le mieux étant cependant le recours à des
prêts bancaires étudiants qui engageraient ces derniers à entamer des
études « efficaces ». Des universités libres de leurs
programmes, de leurs critères de sélection, du recrutement et de la
rémunération de leurs enseignants chercheurs, libres enfin de fixer
leurs droits d’inscription.
L’on
dira avec justesse qu’il est des disciplines qui ne trouveront pas de
sources privées de financement. Dans ce cas, il incombera alors et
naturellement à l’État d’intervenir. Mais est-il pour autant nécessaire
de laisser survivre 36 facultés délivrant des licences en psychologie et
34 des licences en sociologie quand, faute de moyens, des disciplines
créatrices de débouchés s’étiolent ?
Bernard Lugan
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