mercredi 7 novembre 2012

0 Thibon et Nietzsche


Article paru à l'été 2003 dans L'Action Française 2000.

   A l’évidence Nietzsche occupait une place à part dans l’esprit de Gustave Thibon. Il aimait à le citer dans la conversation, partageait son goût pour l’aphorisme et, surtout, cas unique dans son œuvre, lui consacra une monographie, Nietzsche ou le déclin de l’esprit. Si Simone Weil fut le "contemporain majeur" du sage de Saint-Marcel d’Ardèche, Nietzsche aussi, par delà le temps, fut pour lui un interlocuteur privilégié.
    Maurras, pour sa part, n’a pas beaucoup écrit sur Nietzsche. Pourtant, ses amis Hugues Rebell et Pierre Lasserre furent parmi les premiers à le faire connaître et à le commenter en France. Ce dernier écrit dans sa Morale de Nietzsche : « L’audace et l’éloquence de Nietzsche, mises au service des conclusions qu’allait nous imposer de plus en plus l’expérience des idées modernes et leurs fruits, ont surtout activé et enhardi notre libération intellectuelle. » Maurras, rendant compte de la parution de ce livre pour la Gazette de France commente ainsi cette phrase : « il faut retenir les six derniers mots. Ils sont décisifs ; pour ma part, ils me persuadent : non seulement ce Frédéric Nietzsche a du bon mais il peut être utile. C’est un auxiliaire. Ce peut être une autorité. » Autrement dit, pour Maurras, Nietzsche est utile dans la mesure où la virulence et la hardiesse de ses attaques contre le romantisme, le germanisme, Wagner (« méditerranéiser la musique »), la démocratie et les illusions du Progrès, rejoignent celles de l’Action française. En un sens, Thibon emprunte d’abord le même chemin…
Nietzsche auxiliaire
 
    Il dit oui – jusqu’à un certain point – au démolisseur, à la « philosophie à coups de marteau » qui ébranle les fausses valeurs de la modernité mais, comme Maurras, il dit non à l’individualisme radical, au mythe prométhéen du Surhomme. Sans suivre Nietzsche en tout, Thibon, à la suite des maurrassiens des années 1900, reconnaît la valeur de sa dénonciation du Dernier Homme, créature frileuse et médiocre de l’ère démocratique : « La terre alors sera devenue exiguë, on y verra sautiller le Dernier Homme qui rapetisse toute chose […] Un peu de poison de temps à autre ; cela donne des rêves agréables. Et beaucoup de poison pour finir, afin d’avoir une mort agréable. On travaillera encore, car le travail distrait. Mais on aura soin que cette distraction ne devienne jamais fatigante […] Qui donc voudra encore gouverner ? Qui donc voudra obéir ? L’un et l’autre sont trop pénibles. »
    Préoccupé surtout par le face à face de Nietzsche avec le christianisme, Thibon reconnaît à l’auteur du Zarathoustra un « flair prodigieux pour déceler et pour mettre à nu toutes les formes frelatées de la religion » tout en lui reprochant sa « tragique cécité en face du fait religieux authentique ». Imitant Nietzsche et lui appliquant sa propre méthode généalogique, il diagnostique chez lui un excès de moralisme (peut-être explicable par ses origines protestantes) qui aurait engendré sa haine finale de la morale : « il se sert d’abord de l’idéal le plus pur pour juger des falsifications concrètes de cet idéal ; ensuite, il prétexte de ces mêmes falsifications pour éliminer l’idéal qui vient de lui servir d’étalon : après avoir condamné l’homme au nom de la morale, il condamne la morale au nom de l’homme. »
Nietzsche mystique
 
    Mais Thibon va plus loin encore en décelant chez Nietzsche un tempérament mystique. Il n’hésite pas à le comparer à saint Jean de la Croix : « ils eurent l’un et l’autre, des âmes de grands adorateurs ; une sève essentiellement religieuse nourrit les frondaisons de leur pensée ; ils eurent soif jusqu’à la mort d’une plénitude surhumaine […] Tous deux suivirent l’attraction de leur déclin. Mais l’un s’abîma  dans la lumière transcendante, l’autre voulut tomber en lui-même. » Mystique sans Dieu qui ne pouvait conduire qu’à une tentative de déification de l’Homme dont l’échec, pourtant prévisible, atteignit Nietzsche jusque dans sa santé mentale. « Après avoir tué Dieu dans l’homme, Nietzsche épuisa toutes les forces de sa pensée et de son amour à tirer un Dieu de l’homme » écrit Thibon.
    Que ceux qu’effarouche la comparaison entre le philosophe impie et l’illustre Docteur de l’Eglise méditent ces célèbres formules du Zarathoustra : « La grandeur de l’Homme, c’est qu’il est un pont et non un terme […] J’aime ceux qui ne savent vivre qu’à condition de périr, car en périssant ils se dépassent […] J’aime celui qui aime sa vertu ; car la vertu est volonté de périr et flèche de l’infini désir… » Comment ne pas y voir, à l’exemple de Thibon, la marque d’une grande âme ?
    Ajoutons que le drame de Nietzsche est peut-être d’avoir autant été influencé par la pensée de Schopenhauer. Qu’est-ce en effet que sa « Volonté de puissance » sinon la tentative de réhabilitation du « Vouloir-vivre » présenté par Schopenhauer comme une torture ? Nietzsche rejette d’instinct cette morale du renoncement à la vie et y répond par une sublimation de la vie. N’a-t-il jamais perçu qu’en cela il ne s’opposait pas autant qu’il le croyait au christianisme ? Le Christ en effet n’est pas venu détruire notre nature mais la réparer, la parfaire, l’achever.
Stéphane BLANCHONNET

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