Je n’ai que deux souvenirs de Mai 68 : l’image
aperçue à la télévision (en noir et blanc) d’une façade d’immeuble léchée par
les flammes d’une barricade en feu et un barrage de manifestants à la sortie de
Dinan, devant une usine sans doute occupée, qui tapaient joyeusement sur le
capot de la R16 familiale avec le plat de la main… Mais les années qui
suivirent furent celles de mon ébauche de réflexion politique puis de mon
engagement militant, d’abord hésitant et surtout anticommuniste (le communisme
était encore, à l’époque, une opinion courante…), puis enfin royaliste,
définitivement, à partir de l’été 1980.
Le film « Après Mai », sur les
écrans depuis quelques jours et qui retrace le parcours de quelques lycéens
gauchistes au début des années 70, ne m’a pas vraiment surpris et je l’ai vu
comme un bon résumé du parcours de nombreux jeunes engagés politiquement,
qu’ils soient, d’ailleurs, d’extrême-gauche ou d’autres obédiences ! Oui,
notre jeunesse fut « folle », et militante,
éminemment « intellectuelle et violente » selon la formule de
Maurras, en fait passionnée, dirait-on aujourd'hui ! Quand Olivier Assayas,
l’auteur du film, était mao ou je ne sais quoi, j'étais tout aussi
révolutionnaire, mais nationaliste et royaliste, et nous, nous aussi, de
l’autre côté de la barricade, voulions changer le monde, mais aussi restaurer
la monarchie, sauver la France dont, comme l'écrivait Bernanos, le monde
avait besoin... Nous couvrions les murs de slogans, de fleurs de lys : en une
nuit du printemps 84, nous avons usé 17 bombes de peinture ! Certains de nos
slogans couvraient une cinquantaine de mètres de mur, à Villejean ou à Beaulieu,
à Sciences éco., place Hoche (déjà !) ! Nous sautions par dessus les murs
des lycées (Jean-Macé, Chateaubriand, et j’en oublie !) et des facs,
affirmant en lettres gigantesques que « Marianne n’aime personne mais
elle b... tout le monde » ou déclarant, dans un style très doctrinal
« Pour l’auto-organisation des peuples de France sous l’arbitrage d’un
exécutif héréditaire et successible : le Roi ! » (si, si, je
l’ai écrit !), nous élevions des barricades rue d'Estrées un soir de mai
83 et nous passions notre temps à courir, à crier, à haranguer, parfois à nous
battre pour protéger « notre » point de vente, sur le marché des
Lices ou place de la Mairie... Ça ne s'arrêtait jamais, nous tenions meeting à
la Maison du Champ de Mars ou nous faisions des manifestations (y compris de
nuit) en criant « Monarchie populaire », nous affichions sur
les grandes baies vitrées de Villejean parfois toutes les nuits ! Chaque soir
ou presque, j’écrivais un nouveau texte de tract que je photocopiais le
lendemain matin avant de l’afficher sur les panneaux de la Fac de Droit ou dans
les couloirs de celle d’Histoire, ou que nous distribuions sur les tables du Restaurant
Universitaire de Villejean avant que les étudiants ne s’installent pour
manger ! Lors des grèves ou des Assemblées générales étudiantes, nous
prenions la parole, parfois sous les huées et les insultes, mais j’avoue que je
n’avais pas du tout peur, grisé par cette ambiance électrique et houleuse dans
laquelle je me sentais vivre pour convaincre autrui ! C'était fou, et
c'était bon ! Et on clamait « vive le roi » sur le marché des
Lices quand les « autres » nous chargeaient, à dix contre un ! Il
m’est arrivé de me retrouver ensanglanté, le nez sur le trottoir… Oui, c'était
notre jeunesse, et c'était les plus belles années de ma vie : cela valait le
coup de vivre cette folle jeunesse militante, j'en ai encore des souvenirs
plein la tête et, surtout, plein le cœur...
Il me faudra écrire, un jour, sur ces années militantes,
principalement rennaises, et qui m’ont fait ce que je suis et ce que je suis
resté, envers et contre tout, même si les formes ont parfois changé et que les
enjeux ne sont plus forcément les mêmes.
Les années ont passé… Le roi n’est pas là, c’est vrai, et
il tarde à venir, mais, plus que jamais, le combat royaliste me semble
opportun, parfois sur des chantiers idéologiques nouveaux, en appliquant
aussi la formule maurrassienne de « la tradition critique »,
nécessaire pour éviter les erreurs, voire les errements d’une autre époque qui
ont tant coûté au royalisme français, parfois à son honneur, souvent à sa
crédibilité et à son efficacité…
Ce qui est certain, c’est que c’est bien au contact des
autres, les tracts à la main ou lors des débats dans la rue ou sur la
Toile, que le royalisme est visible, et qu’il a des chances de prouver qu’il
est crédible : la recherche intellectuelle et l’attention portée
aux enjeux de notre temps ; la discussion argumentée avec autrui,
sympathisant, adversaire ou simple curieux ; l’action militante
« par tous les moyens même légaux », sont nécessaires pour
faire advenir cette monarchie qui n’est pas un « sceptre magique »
mais le moyen institutionnel « le moins mauvais » pour assurer la
pérennité de notre Etat et de la France comme nation historique et éminemment
politique. Difficile ? Lointaine ? Sans doute…
Mais, au moins, la faire connaître et la rendre possible,
et, si ce n’est pour nous, pour les générations à venir qui pourraient bien,
d’ailleurs, retrouver l’élan et l’ardeur de « notre jeunesse »,
celle qui ne m’a, en définitive, jamais quitté…
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