Après avoir consacré un volume à l’héritage maurrassien en matière de culture, les Éditions Septentrion ont pris le parti d’envisager les rapports privilégiés entretenus par L’Action française avec la littérature.
Un vaste programme quand on sait combien de grands écrivains adhérèrent au mouvement, ou du moins s’affichèrent comme compagnons de route ou s’en revendiquèrent comme les héritiers.
Au centre de la féconde triangulation que définissent l’esthétique, la littérature et le nationalisme, on rencontrera en tout premier lieu la figure tutélaire de Frédéric Mistral, à qui Martin Motte consacre une substantielle étude. Il y montre notamment à quel point le poète provençal, chef de file du Félibrige, sera le véritable maître à écrire comme à agir d’un Maurras qui sera complètement ébranlé lors de sa mort en 1914. L’admiration était telle que Motte en vient à émettre l’hypothèse que Maurras s’est identifié à Mistral « au point de reproduire son existence et comme si la littérature, matrice commune de leurs destinées, avait été pour eux le substitut d’une impossible politique, le dernier bastion de l’Harmonie dans un monde en proie au chaos ». La fascination envers l’auteur de Miréio perdurera puisque, vingt ans après sa disparition, presque jour pour jour, c’était encore en sa mémoire que le Martégal composait un poème pendant que l’insurrection du 6 février battait son (et sang) plein.
À travers une étude à l’allure académiquement irréprochable, il demeure perceptible que Jean El Gammal rend un hommage discret à l’immense talent de Léon Daudet, dont on ne perçoit pas encore aujourd’hui – sans doute parce que cela n’est pas de bon ton – l’importance de l’envergure de critique. Daudet le fils avait la plume féroce que l’on sait, et entre les mains du médecin qu’il était, le scalpel se transformait souvent en couteau de boucher. Trois noms sont associés à la postérité de Léon Daudet, et ce sont ceux de trois géants : Proust, qui n’aurait peut-être pas reçu de si bonne grâce le Goncourt en l’absence de l’auteur des Morticoles dans le jury ; Bernanos, que Daudet remarqua en 1926 avec le long ébranlement qu’est Sous le soleil de Satan ; Céline enfin, dont il prononça un éloge enflammé dans les colonnes de l’AF, ce qui ne fit pas que des heureux. Mais Daudet n’avait-il pas rétorqué un jour à Pol Neveux, que le Voyage avait scandalisé : « La patrie, je lui dis merde, quand il s’agit de littérature » ?
Maintes autres divergences et convergences sont à découvrir dans ce volume, où aucun nom n’est omis, de Bourget à Gide, de Blanchot à Laudenbach, et dont le champ de réflexion dépasse les frontières hexagonales pour transporter le propos dans le Portugal de Pessoa ou la Roumanie de l’entre-deux-guerres. Un seul regret : celui de voir se clore une passionnante série de recueils où les principaux axes de l’héritage maurrassien auront été envisagés avec toute la scientificité requise. À moins que, d’ici deux ans…
Frédéric Saenen - Parutions.com, le 18/12/2012 - La Nouvelle Bataille
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