Les ingénus se scandalisent de voir les radicaux unis aux socialistes et aux communistes, au moment même où ceux-ci s’efforcent de renverser tout ce que ceux-là devraient défendre, et ils attendent que cela change ; cela ne changera jamais ; les radicaux restent liés aux révolutionnaires par nécessité, parce qu’ils ont besoin d’eux pour se maintenir, et ils leur restent liés par affinité, parce que leurs passions sont les mêmes. Sur ce point comme sur les autres, la République ne fait que se continuer.
Ce que les jacobins paraissent appréhender, c’est qu’il ne subsiste, au-dessous des partis, et malgré tout ce qu’ils ont pu faire pour la détruire, une France des profondeurs, une France des siècles, qui les fera tomber si elle remue. De là la nécessité de tenir garnison dans le pays ; les jacobins le continrent et le dominèrent par vingt mille sociétés populaires ; de même les radicaux implantent partout des hommes à eux. Tandis que les modérés, lors des élections, ne peuvent rien attendre que d’un pays laissé à soi-même, et portant pour un instant dans la politique une âme qui lui est restée étrangère, les radicaux, au contraire, ont besoin d’un pays artificiellement agité, mis dans un état violent où un petit nombre d’affidés entraîne ou contraint tout le reste. Dès qu’il s’agit pour eux de défendre leur suprématie, ils reproduisent en petit la Révolution. Aussitôt que la IIIème République se croit menacée, elle organise des journées, comme la première : on fait paraître le Peuple, mais ce peuple-là n’est que la marionnette du parti. Si les Français s’insurgent d’eux-mêmes, s’ils se révoltent sans qu’on le leur ait commandé, s’ils marquent le moindre mouvement de mécontentement sincère, ils ne sont plus que des factieux et des scélérats : on mitraille le peuple, quand ce n’est pas celui qu’on a fabriqué.
Abel Bonnard, Les Modérés, Grasset, 1936
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