mardi 25 juin 2013

0 Le Poète et la voix




LE POÈTE

C’en est fait : je me rends ! Cette lyre inutile,
Je la brise. ― Fuyez, fantômes imposteurs !
Droit, Justice, Idéal chimérique et futile,
Qu’un siècle divinise et qu’un autre mutile,
Arrière ! ― Et toi, Science, à qui je fus hostile,
Grâce aux propos mielleux de poètes menteurs,
Désormais reçois-moi parmi tes serviteurs !
Vaste Chimie aux bras puissants, Physique austère,
Venez me révéler les secrets dont la terre
À nos yeux, dans ses flancs, dérobe le mystère.
Apprendre pour jouir, profiter aujourd’hui
Et marcher dans la voie où l’instinct nous conduit,
Hors de là, rien n’est vrai ; dans la nature entière,
Tout naît, tout vit, tout meurt ; tout est Force et Matière ;
Il n’est point d’autres lois. ― A-t-on du cimetière
Vu quelqu’un revenir ? ― Eh bien, puisque la mort
Est le terme fatal, bannissons tout remord,
Épuisons les plaisirs où le sort nous convie,
Et combattons gaîment le combat pour la vie !


UNE VOIX

Ô la belle sagesse, en vérité !... L’effort
Que sa pratique exige, est facile au moins fort,
Et les cerveaux les plus obtus, les plus ineptes,
Sans peine iront s’ouvrir à ses joyeux préceptes.
Mais, par les temps passés pour l’avenir instruits,
Ceux qui jugent toujours l’arbre d’après ses fruits,
Sur l’écorce du vôtre osent, pour qu’on y songe,
D’une main ferme écrire en traits de feu : « Mensonge ! »

Grâce à qui, ― vos docteurs s’en sont-ils souvenus ? ―
Jusqu’au siècle présent sommes-nous parvenus ?
Qui donc a mis un frein aux passions sauvages ?
Apôtres du néant ! aux grossiers appétits
Des hommes, par l’aveugle ignorance abrutis,
À ces flots comprimés, en proie aux durs servages,
Un jour de brusque assaut de leur prison sortis,
Est-ce vous, dont la voix cria sur les rivages :
« C’est ici que viendront expirer vos ravages ? »
― Allez le demander aux peuples engloutis !
L’incorruptible Histoire est là, dans ses annales
De vos sombres aînés montrant les saturnales,
Et je la vois pleurer, quand son doigt frémissant
Tourne ces noirs feuillets pleins de fange et de sang !
Avec tout son savoir, dont il fait l’étalage,
L’athée est impuissant à fonder un village :
Et vous, derniers venus, qui prétendez bâtir
La cité merveilleuse où tout doit aboutir,
Pour asseoir ses remparts, pour garder son enceinte,
Voyons, qu’apportez-vous ? Quelle est votre arche sainte ?
Souffrez que, la raison me prêtant son flambeau,
Je m’en informe un peu.

Sur le morne tombeau
Où vous enfouissez l’antique Conscience,
L’arbre que vous plantez, votre arbre de science,
Quel que soit son ombrage, est funeste à mes yeux,
Si, pour vous abriter, il doit cacher les cieux ;
S’il ne doit s’élargir que pour être un refuge
À ceux qui vont disant : « Après nous le déluge ! »
Si tout essor divin de son ombre est banni,
S’il n’a point de lucarne ouverte à l’infini.
Attendez ! ― C’est en vain que votre orgueil murmure,
Lorsque, pour vos neveux, l’arbuste ayant grandi,
Pourra braver les vents ; mancenillier maudit,
Lorsqu’il aura pompé, dans sa vaste ramure,
Tous les sucs généreux de votre sol natal ;
Lorsqu’il sera forêt, et que son tronc fatal
Aura couvert au loin vos villes et vos plaines ;
Quand le peuple, assez haut pour cueillir à mains pleines
Et mordre à belles dents ses fruits empoisonnés,
La tête en feu, les sens de fièvre aiguillonnés,
À sa façon voudra commenter vos oracles,
Chers maîtres, ce jour-là l’on verra des miracles !
Cet avenir sinistre où l’œil craint de plonger,
Quelqu’un de vous peut-il sans frémir y songer ?
Ou bien, jusqu’à ce point poussez-vous le délire,
Que, dans ce livre ouvert, vous refusez de lire ?
Savez-vous calculer ? Forts en abstraction,
Est-ce qu’un froid mortel n’emplit pas vos vertèbres,
Apôtres de mensonge et de négation,
Quand vous voyez du sein de vos tristes algèbres,
Formidable zéro fait de destruction,
Ouvrant pour vous saisir sa gueule de ténèbres,
Surgir comme un volcan l’horrible équation ?...
Adieu la Liberté ! L’impur libertinage,
Sous un niveau sanglant prouvant l’Égalité,
Dressera l’échafaud ruisselant de carnage
Sur l’autel aboli de la Fraternité !...
Déjà Catilina chez vous a fait des siennes !
Voulez-vous donc rouvrir les blessures anciennes ?
Vous en faut-il encor de ces atrocités ?
Dont l’ouragan de feu désola vos cités ?...
Alors, continuez votre triste Évangile !
Prêchez : « L’homme n’est rien qu’une pensante argile,
« Un produit du hasard, dont l’unique souci
« Doit être de se faire un sort plus adouci ;
« Le reste : âme immortelle, existence future,
« Justice, châtiment, récompense, ― imposture !
« Ô peuple ! n’en crois rien ; d’un cœur impétueux
« Embrasse le réel, lui seul est fructueux ;
« D’un arbre chimérique il n’est nul fruit qui tombe,
« Et tout à fait pour l’homme en entrant dans la tombe. »
Puis après, dites-lui : « Peuple, sois vertueux ! »
Dérision ! En vain le pouvoir légifère ;
Quand on ne croit à rien, on est prêt à tout faire.
Ô moraliste athée ! à qui donc parles-tu ?
Dupe ou fripon, victime ou bourreau, flèche ou cible,
Nulle autre alternative à l’homme n’est possible.
Ô science stupide ! ― Ah ! vous semez les vents,
Mais vous ne voulez point des tempêtes, savants !
Une foule incrédule a d’étranges audaces ;
Prenez garde ! souvent du plus profond des masses,
Au loin, dans l’ombre arrive, à qui veut écouter,
Un bruit qu’on aurait tort de ne pas redouter,
Bruit terrible, mêlé d’une rumeur sinistre,
Que l’Histoire en tremblant, l’air pensif, enregistre,
Car ce sourd grondement dit à son souvenir
Qu’un hôte inattendu s’annonce et va venir.
Pendant que vous buvez le doux jus de la treille,
Plein de vagues soucis, moi, j’y prête l’oreille ;
Je l’entends qui s’avance, énorme et menaçant ;
C’est le prochain déluge, un déluge de sang !


LE POÈTE

Qui donc me parle ainsi ? Puissance mystérieuse,
Sous qui je sens fléchir mon esprit combattu,
Toi, dont la voix m’est douce autant que sérieuse,
Montre-moi ton visage, et dis-moi qui es-tu ?


UNE VISION

Je suis l’Ange qui veille au salut de la France ;
Ma devise est : « Justice, » et mon nom : « Délivrance ! »
Au bord du mal j’ai vu ta raison chanceler,
Mais ton cœur m’est fidèle, et je viens lui parler.
Je suis en deuil ; tu sais pourquoi. Sous ma cuirasse,
De plus d’un trait mortel tu trouverais la trace ;
Mais aucun ne m’a fait dévier de mon but.
Ils le savent très bien, les plus grands de ta race,
Le courage indomptable est mon fier attribut,
Et plus les vents jaloux s’acharnent sur ma tête,
Plus fort le lendemain je sors de la tempête.
Je ne sais si du fiel que mes lèvres ont bu,
L’abominable coupe à la fin est vidée :
Mais je ne puis mourir, car je suis une Idée.
Je sais où Dieu m’envoie, et même aux jours mauvais,
Sans peur et sans reproche, à travers tout j’y vais,
Et dût le monde entier me faire banqueroute,
Seul, sans fléchir, j’irai jusqu’au bout de ma route.
Ma bannière au soleil, vers l’Idéal sacré,
Tel j’ai marché toujours, et tel je marcherai.
T’en faut-il des témoins ? Enfant, va donc au Louvre !
Tous ces fronts, devant qui l’étranger se découvre,
Cet auguste Sénat de penseurs, de héros,
De martyrs souriant à leurs tristes bourreaux.
Dis, peux-tu regarder cette épopée en pierre,
Sans que des pleurs d’orgueil inondent ta paupière ?
Ah ! dans leur foule illustre, où s’élèvent tes yeux,
Peut-être aperçois-tu quelqu’un de tes aïeux,
Et son sang dans ton cœur te murmure à voix basse :
Un jour auprès de lui tu dois avoir ta place !
Si c’est ton vœu, jeune homme, écoute ! ouvre à ma voix
Ton cœur et ton esprit, et vois ce que je vois.

Ton siècle est grand, ton siècle est fort, et qui le nie,
Ou bien est un aveugle, ou bien le calomnie ;
Mais s’il court à l’abîme au lieu de remonter,
Sache être de ton siècle en osant l’affronter,
Et, sans peur des partis, à leur ivresse folle,
Fais entendre et sonner une mâle parole !
Quand le Forum se livre à leurs chocs hasardeux,
L’homme juste les brave et plane au-dessus d’eux,
Va ! dis à ces Français que le passé divise :
Honte, opprobre éternel, à quiconque s’avise,
Pour faire un jour ou deux sonner sa vanité,
De semer la discorde à travers la cité,
Quand la Patrie en deuil est là, dans sa devise,
Montrant d’un doigt sanglant ce mot : Fraternité !

Est-il bien à propos, pour des questions mortes,
Sous l’œil de l’ennemi, de desserrer vos rangs ?
Attendez qu’Annibal ne soit plus à vos portes,
Et vous pourrez après vider vos différends !

D’ailleurs, l’avenir presse et veut des soins plus graves,
Au peuple élucidez ce qu’il a mal compris ;
Relâchez de vos lois les trop rudes entraves,
Assainissez les cœurs et haussez les esprits !

D’une époque néfaste effacez tout vestige ;
Sur ses hontes jetez le voile de l’oubli,
Et rendez par vos mœurs son antique prestige
Au foyer chaste et pur qu’elle avait avili.

Et puis, l’École est là, moitié fermée encore,
Où filtre un jour douteux par la brume effacé :
Ouvrez-la toute grande, et laissez-y l’Aurore
Secouer son flambeau sur la nuit du passé !

Au livre de l’histoire apprenez à mieux lire
Vous-mêmes, qui dictez ses sévères leçons ;
Du Vrai, du Grand, du Beau, par la Plume et la Lyre
Inoculez l’amour à vos fiers nourrissons !

Dans la forêt du Dogme enténébré sur l’homme,
Que tout noir carrefour enfin soit éclairci ;
Laissez se disputer Luther, Genève et Rome ;
Le Calvaire est plus haut, et le Caucase aussi.

Par delà ces torrents de disputes frivoles,
Que par un tel massacre ont rougis vos aïeux,
Regardez sur vos fronts ces deux vivants symboles,
Immense enseignement, se dresser vers les cieux !

Ces époques d’horreurs, comme un déluge immonde
Ont fui, ne vous laissant qu’un amer souvenir ;
Ces montagnes toujours sont debout sur le monde
Pour enseigner la route à ceux qui vont venir.

Ne quittez pas des yeux ces cimes fraternelles ;
Sous le bec du vautour, le sang du proscrit
Doit faire épanouir les palmes éternelles
Avec celui qui coule aux flancs de Jésus-Christ.

Ces tragiques martyrs se complètent l’un l’autre ;
Du grand drame terrestre ils forment l’unité,
Et le voleur du feu, comme le doux apôtre,
Chacun parfait ton œuvre, ô vaste Humanité !

Devant le sort funeste ils sont ta conscience,
Le même bras fatal les cloua sur la croix ;
Le Prophète au Titan murmure : « Patience ! »
L’un dit : « Je veux connaître, » et l’autre dit : « Je crois. »

Le Titan comme l’aigle a mesuré le gouffre ;
Ignorance partout, esclavage odieux !
L’Olympe l’exaspère, et, pour l’homme qui souffre,
Magnifique brigand, il détrousse les dieux.

Sur les flots de la vie, en lutte aux vents contraires,
Le doux Nazaréen, comme un cygne plaintif,
Suavement murmure : « Aimez-vous, soyez frères,
« Si vous voulez renaître au bonheur primitif. »

Sur leurs deux fronts l’Amour étend sa blanche enseigne,
Foulant aux pieds le glaive et le joug détesté ;
Leur trône est un gibet, et leur pourpre qui saigne,
Lave de tout soupçon leur sainte majesté.

Les siècles passeront, marquant de leurs outrages
Les plus fières cités et leurs arcs triomphaux ;
Mais les peuples toujours, au-dessus des orages,
Verront dans le ciel bleu trôner des échafauds.

Et du problème humain, escaladant les faîtes,
Les penseurs soucieux, chercheurs du lendemain,
Ne trouveront jamais, plus hauts que ces prophètes,
Deux phares lumineux leur montrant le chemin.

Ô Français ! c’est à vous de traduire en langage
Accessible à l’effort du plus humble cerveau,
De ces deux piloris le sens qui se dégage,
Pour la race future Évangile nouveau.

Que votre histoire un jour, trait-d’union sublime,
Entre ces deux sommets où l’on peut tout savoir,
Comme un vaste arc-en-ciel rayonne sur l’abîme,
Portant en lettres d’or ces mots : « Droit et Devoir ! »

Droit et Devoir ! synthèse éternelle, équilibre
De tous les poids rivaux l’un par l’autre amortis !
Splendide accouplement, pour l’homme juste et libre
S’imposant, pacifique, au-dessus des partis !

Ces mots contiennent tout ; ― sur les vagues obscures,
Nul pilote des vents ne domptera l’assaut,
S’il ne suit pas des yeux ces brillants Dioscures,
Dont la seule clarté peut guider son vaisseau.

Les sombres passions n’ont qu’à faire silence
Devant leur sens auguste, où luit la Vérité ;
Ils sont les deux plateaux rivés à la balance
Que, dans sa forte main, tient la chaste Équité.

Sous le doigt de l’aïeul, ravi de les entendre,
Qu’ils soient les premiers mots épelés par l’enfant.
Le Droit, bien expliqué, rendra son cœur plus tendre ;
Le Devoir contiendra son esprit triomphant.

De vos législateurs, assemblés dans leur temple,
Pour marquer sur vos mœurs un coin de pur aloi,
Que le regard longtemps les scrute et les contemple,
Avant de corriger le livre de la Loi.

Toi, prêtre, quels que soient ton culte et ton Église,
De tes dogmes qu’enfin leur jour pur éclaira,
Permets qu’à ces clartés le texte obscur se lise :
Du haut de son gibet Jésus t’approuvera.

Seuls, les faux dieux ont peur de voir sur leurs bannières
Se projeter ces traits de lumières offusquants ;
Mais le Christ, de nos jours, en ferait des lanières
Pour son fouet, qui chassa dehors les trafiquants.

Au Panthéon de l’Art, comme une double étoile,
Guidant vers l’avenir ciseaux, brosses, crayons,
Sur le marbre et l’airain, sur la fresque et la toile,
Que leur charme céleste épande ses rayons !

Peintres, rois des couleurs, dans votre âme inspirée
Laissez ces deux splendeurs s’épancher à grands flots,
Et le soleil ravi, du haut de l’empyrée,
D’un baiser immortel signera vos tableaux !

Statuaires, cherchant dans vos nobles extases
L’attitude héroïque et le conteur divin,
Sculptez sur vos autels ces mots, et dans vos vases,
La Muse, en souriant, viendra verser son vin.

Si vous voulez monter au milieu des génies,
Jeunes tribuns, dompteurs du Forum irrité,
Accourez ! venez boire à ces urnes bénies
Le nectar de la Force et de la Probité.

Et vous, musiciens, dont le brûlant délire
Émeut l’enthousiasme au plus profond des cœurs,
De vos doigts palpitants ne touchez pas la Lyre,
Sans vous être enivrés de leurs saintes liqueurs !

Poètes, à vos luths ! écrivains, à vos plumes !
Partout du grand rappel soyez les fiers clairons !
Tous à l’œuvre ! Frappez, marteaux ; sonnez, enclumes !
La Patrie a besoin de tous ses forgerons.

Sursum corda ! Sursum corda ! dans la fournaise,
C’est le sacré métal de l’Avenir qui bout ;
Il faut, pour accomplir sa superbe genèse,
Que chaque citoyen, l’arme au poing, soit debout.

Un siècle va finir, et l’heure est solennelle :
Aujourd’hui, fils d’hier, est père de demain ;
Vers demain, vers demain, tournez tous la prunelle ;
À ses pas de géant préparez le chemin !

Il importe d’agir, de faire sentinelle
Dans l’immense atelier du grand Progrès humain.
Quand la mine a plongé sous l’œuvre fraternelle,
Honte à l’indifférent qui n’y tend pas la main !

Ah ! si ma voix s’adresse à des cœurs infidèles,
Autels déserts, pareils à des foyers sans feu,
Vers des cieux moins ingrats je déploîrai mes ailes,
Ô Français ! je vous quitte et je vous dis adieu !


LE POÈTE

Non ! non ! tu resteras, Ange de ma Patrie !
Au nom de tous ses fils, vois, je tombe à genoux.
Pour rendre tout son lustre à sa gloire meurtrie,
Désormais notre amour et notre idolâtrie,
Soutiens, exhorte, assiste, inspire et conduis-nous !

J’en atteste le ciel du doux pays de France,
Ses montagnes, ses bois, ses vallons et ses fleurs,
Ses fleuves teints de sang, ses longs jours de souffrance !
J’en atteste les yeux de la jeune Espérance,
Qui console tout bas ses augustes malheurs !

J’irai, j’enflammerai de l’ardeur qui m’entraîne
Tous mes frères debout au soleil de demain,
Et pour tes droits sacrés, descendus de l’arène,
Sous tes yeux souriants, ô France, ô mère, ô reine !
Nous marcherons, la lyre ou l’épée à la main !


CHARLES BELTJENS

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