Quand on 
est diplômé d’HEC et de Sciences Po, que l’on a enchaîné les postes 
prestigieux autour du monde et que l’on est élu de la république, on ne 
peut pas être fondamentalement stupide. Mais lorsque, malgré un tel 
pedigree, l’on est capable d’enchaîner les arguments foireux et les 
raisonnements absurdes comme le fait Vincent Feltesse* dans sa tribune dans le Sud-Ouest du 31 décembre 2012, c’est que l’on a de très mauvaises fréquentations.
Au menu, le plat le plus réchauffé de la
 gauche post mitterrandienne : le droit de vote des étrangers. Bien que 
promis par le candidat Hollande, cette promesse s’est vue rapidement 
repoussée sine die, au profit d’autres mesures tout aussi utiles en 
temps de crise comme le mariage entre personnes du même sexe. Mais la 
gauche, prompte à former sa propre opposition (avec des amis comme eux, 
etc.), ne se prive donc pas de rappeler à l’ex candidat ses engagements,
 donnant par la même occasion quelques gages à son terreau électoral. Le
 terreau le plus fertile n’étant rien sans une bonne quantité de fumier,
 l’exercice consiste avant tout à enchaîner les amalgames et autres 
invraisemblances.
“Le droit de vote aux élections locales, c’est accorder aux étrangers la capacité d’être acteurs de leur citoyenneté”,
 assène Feltesse. Etrange citoyenneté que celle de gens qui, par 
définition, en sont le parfait antonyme : un étranger n’est pas, et ne 
peut pas être citoyen, pas plus qu’un chat ne peut être à la fois mort 
et vivant. A moins de changer de réalité.
Alors l’élu de la Gironde sort 
l’argument massue : le patriotisme fiscal. Les étrangers qui payent des 
impôts doivent pouvoir voter, parce qu’ils payent des impôts. Etrange 
citoyenneté, là encore… étrange et ô combien ultralibérale : si est 
citoyen celui qui paye des impôts, alors ne peut l’être celui qui n’en 
paye pas (ou bien le monde entier est citoyen). Celui qui en paye plus 
devrait donc être plus écouté que celui qui en paye moins. A fortiori, 
les entreprises du CAC 40, gros contribuables, devraient elles aussi 
disposer d’un droit de vote, au prorata de leur contribution à la 
gabegie nationale. Et n’oublions pas, enfin, de faire voter aux 
élections locales chaque personne qui paye des impôts locaux (taxe 
foncière sur une résidence secondaire, ou sur l’investissement 
immobilier d’un fonds de pension étranger). A ce jeu-là, la gauche ne 
peut que perdre son âme – et, plus grave, les élections.
Mais foin de tout cela. Car Bordeaux, 
nous dit et nous répète Feltesse, est une ville cosmopolite. Il n’a pas 
tout à fait tort. Que la ville ait été façonnée par les apports 
étrangers, cela ne fait aucun doute. Par la richesse des négociants 
européens, bien entendu. Par les passages que d’illustres étrangers 
(Hölderlin, Goya…) y ont faits et l’empreinte qu’ils y ont laissée. 
Vouloir assimiler à cette richesse, patrimoniale et intellectuelle, les 
apports douteux d’une population extra-européenne en quête des mamelles 
intarissables de l’État providence relève d’un bon et franc mensonge.
Alors que cherche Feltesse ? Il le dit 
presque explicitement : il s’agit de donner un coup d’arrêt, définitif, 
au “racisme”, personnifié selon lui par le vote Front National. Cette 
grande bataille, engagée depuis le début des années 1980 sous le règle 
d’un Mitterrand machiavélique, celle de la vieille France contre la 
France d’après, celle des potes de l’après-la-France contre celle des 
gaulois, celles des contributeurs du grand Ponzi de la solidarité 
nationale contre ses bénéficiaires. Et pour gagner une bataille 
électorale, nul moyen plus efficace que celui qui consiste à choisir son
 électorat. La gauche, comme la droite, le pratique depuis longtemps en 
découpant à son gré les circonscriptions électorales. Cette fois, c’est 
le coup de Jarnac, l’ultima ratio. Les français votent mal : faisons 
voter les autres.
Si “gouverner, c’est prévoir”, on a un 
peu de mal à comprendre ce que cherche cette gauche ; car si la mesure 
serait pour l’instant circonscrite aux postes “subalternes” (pas d’accès
 aux fonctions de maire ou d’adjoint), aucune raison objective ne 
s’opposerait à cette extension. Que l’on se rappelle les débats ayant 
entouré l’adoption du PACS, censé tenir lieu de mariage pour les 
homosexuels. L’on voit mal comment la gauche, qui montre dans cette 
proposition la portée de son machiavélisme, pourra finalement résister 
aux tentations communautaires qui ne manqueront pas d’apparaître.
Et dans 20 ans, le journal Sud Ouest 
publiera une tribune du sempiternel député de la Gironde, peut-être 
alors maire de Bordeaux, expliquant doctement que le port du niqab 
s’impose dans certains quartiers, et que ceux qui s’opposent à 
l’ouverture des piscines différée selon le sexe des usagers sont des 
salauds réactionnaires. A moins que Vincent Feltesse ne renonce d’ici là
 à ses mauvaises fréquentations.
* Photo avec Ludovic Freygefond et Harlem Désir
Tribune libre de Denis Parest pour Infos Bordeaux
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
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