Dans Le Fascisme vu de Droite
– ouvrage disponible en français aux éditions Pardès – Julius Evola
(1898-1974) propose une critique, au sens d'une analyse rigoureuse,
méthodique et sans concession à l'égard de ses détracteurs comme de ses
admirateurs, d'un régime et d'une idéologie dont il fut un compagnon de
route atypique (Evola s'opposa notamment, dans un esprit
contre-révolutionnaire, à l'importation du racisme biologique allemand, à
l'abaissement du rôle de la monarchie, aux dérives étatistes et
totalitaires). Ce livre publié en 1964 bénéficie à la fois de la
proximité avec son sujet que donne à l'auteur sa qualité de témoin et
d'acteur, ainsi que de la hauteur de vue que lui procurent la distance
dans le temps et sa riche réflexion politique d'après-guerre, dont
témoignent des œuvres comme Orientations (1950) ou Les hommes au milieu des ruines (1953). Deux chapitres du Fascisme vu de Droiteretiendront
particulièrement notre attention dans le cadre de cet article : le
chapitre VIII consacré aux institutions fascistes en général et le
chapitre IX consacré plus précisément au problème de la corporation et
de l'organisation économique.
Une nouvelle forme de représentation
Le chapitre VIII reconnaît d'abord
au fascisme le mérite d'avoir abattu le parlementarisme. Outre la
restauration de l'Etat, cette opération permet d'envisager une nouvelle
forme de représentation qui tranche avec celle procurée par les partis
parlementaires, structures dont le moyen est le clientélisme le plus
vulgaire et la fin, non le service de l'Etat mais celui de leurs
idéologies respectives : « ils se présentent dans une sorte de
concours ou de compétition pour la meilleure défense des intérêts de tel
ou tel groupe d'électeurs, mais en réalité ils ont chacun une dimension
politique, chacun une idéologie ; ils ne connaissent ni intérêts ni
exigences les dépassant, ils agissent dans l'état vide et visent chacun à
la conquête du pouvoir : d'où une situation on ne peut plus chaotique
et inorganique » (p. 75-76 de l'édition Pardès).
Evola voit immédiatement dans l'abolition de ce système l'occasion de rétablir une représentation qualitative et organique (des groupes, en fonction de leur rôle dans le corps social) et non plus quantitative (des individus selon le principe : un homme, une voix), sur le modèle des institutions de l'Europe d'avant 1789 : « parce que ce n'était pas la simple force numérique des groupes, des corps ou des unités partielles ayant au Parlement leurs propres représentants qui était considérée, mais leur fonction et leur dignité. » (p. 77).
Idéalement pour Evola, le nouveau régime aurait dû promouvoir une forme de bicaméralisme ainsi conçu : une Chambre basse représentant la société sur un mode qualitatif, différencié et organique (représentants des corporations professionnelles, de l'armée, de la magistrature et des autres corps) et une Chambre haute, un « Sénat, avec des membres exclusivement désignés d'en haut, choisis surtout en fonction de leur qualité politique, qualité de représentants de la dimension transcendante de l'état, donc aussi de facteurs spirituels, méta-économiques et nationaux » (p. 79) ayant pour but de faire prévaloir le plan des fins sur celui des moyens et proche en cela de l'idée d'un Ordre, au sens supérieur, traditionnel et religieux du terme. Hélas ce programme ne sera pas mis en œuvre, en tout cas pas dans toute la pureté de sa conception.
Evola voit immédiatement dans l'abolition de ce système l'occasion de rétablir une représentation qualitative et organique (des groupes, en fonction de leur rôle dans le corps social) et non plus quantitative (des individus selon le principe : un homme, une voix), sur le modèle des institutions de l'Europe d'avant 1789 : « parce que ce n'était pas la simple force numérique des groupes, des corps ou des unités partielles ayant au Parlement leurs propres représentants qui était considérée, mais leur fonction et leur dignité. » (p. 77).
Idéalement pour Evola, le nouveau régime aurait dû promouvoir une forme de bicaméralisme ainsi conçu : une Chambre basse représentant la société sur un mode qualitatif, différencié et organique (représentants des corporations professionnelles, de l'armée, de la magistrature et des autres corps) et une Chambre haute, un « Sénat, avec des membres exclusivement désignés d'en haut, choisis surtout en fonction de leur qualité politique, qualité de représentants de la dimension transcendante de l'état, donc aussi de facteurs spirituels, méta-économiques et nationaux » (p. 79) ayant pour but de faire prévaloir le plan des fins sur celui des moyens et proche en cela de l'idée d'un Ordre, au sens supérieur, traditionnel et religieux du terme. Hélas ce programme ne sera pas mis en œuvre, en tout cas pas dans toute la pureté de sa conception.
L'échec du fascisme
Le chapitre IX s'intéresse plus
précisément à l'un des composants de la Chambre basse : la corporation
professionnelle. Evola y affirme d'abord la nécessité de «
s'opposer à une fonction de la corporation soit comme instrument
d'étatisation centralisatrice, soit comme instrument de conquête de
l'état par l'économie. » (p. 82). En effet, il décèle deux
premiers écueils dans le programme corporatiste : celui du dirigisme qui
tue la libre initiative du chef d'entreprise, la corporation étant
alors conçue comme une courroie de transmission au service d'un contrôle
étatique de l'économie, et celui de "l'état corporatif", la corporation
devenant alors l'instrument d'une dissolution du politique dans
l'économie.
A cela s'ajoute, le danger consistant à concevoir le corporatisme comme une superstructure nationale où les employeurs et les employés enverraient séparément et par branche leurs représentants, ce qui ne ferait qu'aggraver les antagonismes de classe. Sur ce dernier point, Evola constate l'échec du fascisme : « Le système institua […] sur le plan législatif le double front des employeurs et des travailleurs, dualité qui ne fut pas surmontée là où il aurait fallu, c'est-à-dire dans l'entreprise elle-même, au moyen d'une nouvelle structuration organique de celle-ci (donc dans sa structure interne), mais dans des superstructures étatiques générales affectées d'un lourd centralisme bureaucratique et, en pratique, souvent parasitaires et inefficaces. » (p. 85).
L'auteur oppose à ce modèle bureaucratique, la « reconstruction organique infrastructurelle » (p. 90) des corporations, c'est-à-dire, l'idée d'une entreprise-communauté conçue de manière analogue à la nouvelle vision organique de la nation. C'est dans chaque entreprise donc qu'il conviendrait d'organiser la représentation de tous selon sa fonction : le chef d'entreprise, les cadres, les différents services et ateliers. Cette communauté de travail et son chef seraient alors responsables devant l'Etat.
A cela s'ajoute, le danger consistant à concevoir le corporatisme comme une superstructure nationale où les employeurs et les employés enverraient séparément et par branche leurs représentants, ce qui ne ferait qu'aggraver les antagonismes de classe. Sur ce dernier point, Evola constate l'échec du fascisme : « Le système institua […] sur le plan législatif le double front des employeurs et des travailleurs, dualité qui ne fut pas surmontée là où il aurait fallu, c'est-à-dire dans l'entreprise elle-même, au moyen d'une nouvelle structuration organique de celle-ci (donc dans sa structure interne), mais dans des superstructures étatiques générales affectées d'un lourd centralisme bureaucratique et, en pratique, souvent parasitaires et inefficaces. » (p. 85).
L'auteur oppose à ce modèle bureaucratique, la « reconstruction organique infrastructurelle » (p. 90) des corporations, c'est-à-dire, l'idée d'une entreprise-communauté conçue de manière analogue à la nouvelle vision organique de la nation. C'est dans chaque entreprise donc qu'il conviendrait d'organiser la représentation de tous selon sa fonction : le chef d'entreprise, les cadres, les différents services et ateliers. Cette communauté de travail et son chef seraient alors responsables devant l'Etat.
Nécessité d'une transcendance
Ce dernier point, la responsabilité
devant l'Etat, manifeste l'ultime difficulté envisagée par Evola : sans
un esprit commun, sans une transcendance politique et spirituelle, la
corporation est vouée à l'échec. D'où la nécessaire reconnaissance du « caractère non seulement économique mais aussi éthique de la corporation » (p. 86), de la responsabilité morale du chef d'entreprise devant l'Etat « comme contrepartie de la reconnaissance de sa libre initiative » (p 87), de la lutte nécessaire contre un capitalisme « parasitaire » (le chef d'entreprise devant être le « premier travailleur »
de son entreprise par opposition au simple bénéficiaire de dividendes),
de la participation des employés aux bénéfices mais aussi aux pertes de
l'entreprise.
L'argumentation d'Evola sur la question sociale dans Le Fascisme vu de Droite présente l'intérêt de confronter les principes contre-révolutionnaires en la matière avec l'histoire de l'une des tentatives, partielle et insatisfaisante, mais réelle, de leur mise en œuvre au XXe siècle. L'idée la plus forte que l'on en retiendra est que le projet de restauration d'un ordre vraiment traditionnel et hiérarchique ne peut se mener sur un seul terrain, qu'il soit politique ou social et économique, mais correspondre à un changement complet de direction dans tous les domaines et d'abord au plan spirituel. Tout constructivisme politico-économique qui ne tient pas compte de la dimension anthropologique du problème posé par la Modernité se condamne à l'échec.
L'argumentation d'Evola sur la question sociale dans Le Fascisme vu de Droite présente l'intérêt de confronter les principes contre-révolutionnaires en la matière avec l'histoire de l'une des tentatives, partielle et insatisfaisante, mais réelle, de leur mise en œuvre au XXe siècle. L'idée la plus forte que l'on en retiendra est que le projet de restauration d'un ordre vraiment traditionnel et hiérarchique ne peut se mener sur un seul terrain, qu'il soit politique ou social et économique, mais correspondre à un changement complet de direction dans tous les domaines et d'abord au plan spirituel. Tout constructivisme politico-économique qui ne tient pas compte de la dimension anthropologique du problème posé par la Modernité se condamne à l'échec.
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