L’historien Stéphane Giocanti raconte l’histoire d’une famille qui a joué un grand rôle dans la vie littéraire et politique de la IIIe République.
Il faut imaginer la salle des fêtes de la mairie du XVIe arrondissement de Paris, jeudi 12 février 1891 à 18 heures.
« Partout des fleurs, partout des lumières ! », écrit le reporter du Figaro. Ce soir d’hiver, on marie Léon Daudet, le fils aîné de l’auteur des Contes du lundi, à Jeanne Hugo, la petite-fille du poète de La Légende des siècles. Ce dernier est mort depuis six ans, mais son ombre plane sur la grande salle où ont pris place Georges Clemenceau, Jules Ferry, Émile Zola, Edmond de Goncourt, Jules Simon, l’ancien président du Conseil, Pierre Potain, le fameux cardiologue français, Victor Schœlcher, le rédacteur du décret d’abolition de l’esclavage signé en 1848, sans oublier Charles Lamoureux, le chef d’orchestre, venu avec ses musiciens pour interpréter l’Hymne à Victor Hugo de Saint-Saëns.
Un siècle d’histoire française
Avec ce mariage « joignant » entre eux deux héritiers des plus hautes gloires de leur temps, la république des lettres prend des proportions impériales. Après la cérémonie, on ne se rend pas à l’église : on est entre républicains déniaisés sur les mystères de l’Au-delà. Les jeunes époux, l’un et l’autre âgés de vingt-trois ans, organisent simplement un dîner entre amis dans leur appartement de l’avenue de l’Alma.
« Un grand moment de communion officielle en plein âge d’or de la IIIe République, à l’heure où le régime tout entier semble célébrer une stabilité durement acquise », écrit Stéphane Giocanti en s’attardant sur cet épisode qui marque le milieu de l’histoire familiale qu’il a reconstituée avec un soin passionné. La saga des Daudet commence en effet le 13 mai 1840, avec la naissance à Nîmes d’Alphonse, dans une famille de Blancs du Midi. Elle s’achève le 30 juin 1942 avec la mort de son aîné, Léon, tué par les malheurs de la France dans sa retraite de Saint-Rémy, ou quatre ans plus tard, avec la mort à Paris de son cadet, Lucien, l’ami délicat de Proust.
De la Provence à la Provence, en passant par Paris, du milieu d’un siècle à l’autre, cette histoire semble dessiner un orbe parfait. Que de secrets, que de drames, que de contrariétés, que de souffrances, que d’injustices, que de malheurs pourtant !
Il y a d’abord les querelles faites à Alphonse Daudet sur sa place dans l’histoire littéraire. On a accusé l’auteur du Petit Chosed’être un faiseur, un imitateur. Et, pire encore, de n’être pas l’auteur de ses livres. C’est ainsi l’écrivain provençal Paul Arène qui aurait écrit une grande partie des Lettres de mon moulin. Et son épouse, Julia, qui lui aurait tenu la main pour composer une partie de son œuvre. Il semble bien qu’elle ait aidé Alphonse, et sans doute un peu plus que ne l’avouera Léon dans Quand mon père vivait. « Sans ma mère, née Julia Allard, sans sa collaboratrice morale, intellectuelle et littéraire, mon père en proie à des camarades de jeunesse et à des relations de café, car c’était le temps des cafés littéraires, n’eût pu accomplir son œuvre considérable et, comme il l’avouait, se serait “perdu en conversations”. » [...]
Sébastien Lapaque - La suite sur Le Figaro
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