Tous ceux qui ont eu la chance de connaître Pierre Boutang, même vieillissant, se souviennent de la puissance qui le caractérisait. Puissance physique, certes (l’homme des coups de poings distribués au Quartier latin ne dormait que d’un oeil), mais aussi et surtout puissance intellectuelle, celle dont le rayonnement réchauffe et élève.
C’est essentiellement elle qu’Axel Tisserand analyse dans un essai synthétique qui en décrit toute l’étendue, depuis le journalisme, le roman, le pamphlet, la poésie, la traduction ou la critique littéraire jusqu’à la métaphysique, voire, la théologie.
En son centre, la figure rayonnante du père charnel, de Maurras, du roi et du Père des cieux (aucun disciple de Boutang ne pourra nier qu’à un moment ou à un autre, lui-même ne se soit senti fils du maître). « « Nul n’est homme s’il n’est père » : combien de fois n’a-t-il pas répété à ses étudiants, note Tisserand, cette sentence de Proudhon, lui pour qui l’idée de père est fondatrice de la loi morale ? » Dans ses volumineux Cahiers inédits auxquels l’auteur a eu accès et dont il cite heureusement plusieurs extraits, Boutang écrit en 1992, le jour du vote sur le traité de Maastricht : « La honte a passé par la saloperie de l’élection démocratique... Bon anniversaire ? Mais de quoi t’étonnes-tu, imbécile ? Tu n’avais pas sept ans que ton père t’apprenait à ne rien attendre de la saloperie démocratique. » C’est qu’il n’y a encore que d’être peuple, avait déjà écrit Péguy, qui permette de n’être pas démocrate. L’actualité la plus récente ne conforte-t-elle pas, s’il en était besoin, la sentence ?
Boutang déploie donc son génie dans L’Action française, Paroles françaises, La Dernière lanterne, Aspects de la France et La Nation française où ils réunit, excusez du peu, Philippe Ariès, Raoul Girardet, Marcel Aymé, Gustave Thibon, Roger Nimier, Antoine Blondin, Jean Madiran, Jean de La Varende, Henri Massis, Jacques Perret, Henri Pourrat , bien d’autres encore. Il pense la monarchie à la lumière de la transcendance telle que le christianisme la conçoit ; il s’interroge sur le pouvoir et la légitimité, médite sur le langage, le désir, le « secret de l’être », embrasse l’histoire littéraire de l’Europe et des Etats-Unis, se lie d’amitié avec Jean Paulhan, Jean Wahl, Maurice Clavel, George Steiner...
L’ogre dévore la bibliothèque de Babel et il apparaît à la « télévoyure », en larmes, lorsqu’il évoque la résurrection de la chair. Philosophe platonicien fut-il jamais si magnifiquement incarné ? Rien d’étonnant, toutefois, pour celui qui voulut fonder « l’idéal monarchiste » sur « le sentiment royaliste » : « Royaliste, c’est le plus pur, c’est l’ancien, c’est le sentiment profond. Monarchie, c’est l’appel aux raisons abstraites les plus schématiques et quasi-mathématiques. » Le principe, c’est le Prince : cette leçon de choses délivrée par Boutang ne meurt pas plus que la personne du roi.
« Pierre Boutang, écrit Axel Tisserand, ne manquera pas d’apparaître aux générations futures, du moins si celles-ci recouvrent le goût de penser en dehors des chemins imposés, balisés aux concepts policés du nihilisme contemporain, comme un de ces auteurs aux côtés duquel vous pouvez cheminer tout au long de la vie. » Pédagogique, remarquablement informé et joliment illustré, cet essai, à n’en pas douter, contribuera à ce qu’il en soit ainsi.
Rémi Soulié
Axel Tisserand, Boutang, Pardès, 128 p., 12 €.
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