J’aime le salon de l’auto à cheval entre septembre et octobre comme
le Tour de France en juillet, la finale de Roland-Garros en juin, les
prix littéraires de novembre et l’élection de Miss France en décembre.
Même s’il s’appelle pompeusement Mondial de l’Automobile depuis 1988,
une dérive lexicale qui en amenuise sa portée poétique et symbolique, le
salon de Paris conserve cet inimitable avant-goût des fêtes de fin
d’année. Pour un petit garçon, c’est l’endroit rêvé, des centaines de
voitures rutilantes rangées à la parade, des hôtesses toujours accortes
même après les assauts répétés de lourdingues qui, toute la journée,
leur demandent leur prénom et leur numéro de portable sans oublier ces
sandwichs infâmes cédés à prix d’or ou cette musique d’ambiance trop
forte censée décupler les ventes. Ce folklore populaire, dérisoire et
pourtant si chargé d’émotion et de souvenirs, me plaît. Il y a, durant
cette quinzaine de la Porte de Versailles, une excitation qui rappelle
les grands départs sur la Nationale 7, le faste des inaugurations
gaulliennes ou la fierté patriotique d’un nouveau modèle conçu sur les
chaînes de Poissy ou de Billancourt. Les briseurs de rêve souligneront
que cette description idyllique et donc nostalgique (pléonasme !) du
monde automobile date… au mieux de 1962. Qu’en 2012, la crise financière
et écologique est passée par là. Que l’automobile doit se restructurer,
se repenser, qu’il n’est plus temps de se lamenter sur les pertes
d’emplois ou les inévitables délocalisations, la compétitivité guide le
monde.
Ah ces Français, toujours en retard d’une guerre économique, toujours
l’œil dans le rétro, à ressasser leur glorieux passé ! Comme l’affirme
le slogan hollando-ayraultais de cette 114ème édition « le futur,
maintenant », on oublie tout et on s’inscrit dans la mo-der-ni-té.
Amoureux du talon-pointe, des carrossiers d’antan, de la liberté (gros
mot) de rouler sans entraves et de l’ambition industrielle nationale,
passez votre chemin ! En clair, nos voitures coûtent trop cher à
produire, en plus, elles polluent et sont accidentogènes. Vous verrez, à
partir de jeudi midi, aux actualités télévisées, avec quelle
jubilation, les journalistes enfileront les mêmes mots et se
déchaîneront face à cet archaïsme que sont les voitures. Amis de la
Creuse, de banlieue parisienne, de Corte ou de Roscoff, les éminences
médiatiques vous expliqueront que vous êtes d’affreux ringards, de
dangereux salisseurs d’atmosphère, vous utilisez encore votre automobile
? Inconscients, vous pourriez faire un petit effort. Vous avez pensé à
la sauvegarde de la planète, aux générations futures et à la chute des
glaciers ? Terroristes ! Comme la presse est prévisible, je vous lance à
la cantonade un petit florilège des éléments de langage auxquels vous
n’échapperez pas dans les prochains jours : transition écologique,
électricité, batterie, CO2, péage, filière d’avenir et le plus
mystérieux, prononcé comme s’il s’agissait d’une formule secrète,
mobilité durable ! Je me suis amusé à regarder les archives de l’INA,
paradis des âmes cabossées. Au début des années 60, le journaliste
s’extasiait devant la voiture la plus chère, la plus rapide, la plus
aristocratique, il parlait ensuite du grand luxe avec des trémolos dans
la voix et puis, sans que son désir ne retombe, évoquait longuement la
voiture du réel (la 4L ou l’inoxydable 2CV), plus modeste mais tout
aussi féérique dans un monde qui se motorisait à grande vitesse. La
crise du pétrole et l’avènement de la voiture universelle ont fait
l’effet d’un coït interrompu.
Mais contrairement à ce que pensent les ignorants du petit écran, à
cette époque « préhistorique » présentée comme un sommet de
l’irresponsabilité collective, les voitures faisaient avancer la
sécurité et reculer la consommation. Peugeot était fière de son
injection sur la 404, les Renault 8 et Dauphine découvraient les vertus
de la boite automatique, la Caravelle, charmant coupé quatre places, se
la jouait mutine et désinvolte. Notre industrie ne se limitait pas à
trois constructeurs, les Panhard, les Simca ou les exclusives Facel-Vega
apportaient à notre paysage automobile une diversité et une émulation
vraiment dignes d’intérêt. En Europe, d’autres pays, la Grande-Bretagne,
l’Italie et l’Allemagne, contribuaient à l’essor d’un secteur grand
pourvoyeur d’emplois mais aussi de créativité et de sensibilité. Je
reste persuadé que les voitures nous informaient sur notre vitalité,
notre sensibilité et notre vision personnelle du monde. Si cet âge d’or
des Trente Glorieuses semble révolu, il n’est pas interdit de rêver
encore. Les allées du Parc des Expositions nous en donneront l’occasion
pendant quinze jours. Si les médias ne retiendront que le côté obscur
des voitures, les Hommes qui n’ont pas perdu leur capacité à s’émouvoir,
ne pourront retenir un large sourire à la vue d’un monstre sculpté dans
les ateliers de Maranello. Il y a certains rouges qui sont synonymes
d’espoir.
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